MOELLE ou MOËLLE

Est-ce sa graphie ou sa prononciation

qui est « fautive »?

 

Conditionné depuis des années à écrire moelle, je suis toujours surpris de le voir affublé d’un tréma. Que le commun des mortels fasse cette « faute », cela s’explique encore : ce n’est pas un mot courant. Mais qu’elle soit faite par des gens qui travaillent dans le domaine médical, il y a là de quoi être étonné. Ne devraient-ils pas, eux, savoir comment l’écrire? Il me semble que oui.

Une fois remis de la rapide jouissance que me procure ma douteuse supériorité orthographique, je me suis mis à me questionner sur cette « faute ». Il est facile de dire que les gens devraient savoir, mais savoir quoi, au juste? C’est là que j’ai commencé à regarder de plus près la pertinence des signes qu’on met sur certains mots français. Je prends ici prétexte de moelle pour examiner le rôle du tréma, le signe sans doute le moins utilisé en français.

L’orthodoxie linguistique veut que l’on écrive moelle et non moëlle. C’est ce qu’on m’a appris, mais qu’on n’a jamais justifié. D’ailleurs, si j’avais posé la question, on m’aurait fort probablement, une fois de plus, répondu : « Parce que c’est comme ça ».  Alors pourquoi certaines gens  mettent-ils [ou mettent-elles (1)] un tréma?… Les signes, dits orthographiques par Grevisse et auxiliaires par Goosse, ont pour fonction « de préciser le son que représentent certaines lettres » [accents, tréma et cédille], à l’exception évidemment de l’apostrophe, qui indique l’absence d’un son. C’est dire que coiffé d’un tréma moëlle se prononce différemment de moelle. En théorie, du moins.  

Comment se prononce donc moelle? Pour le savoir, on consulte le Petit Robert, qui fournit la transcription en alphabet phonétique de tous les mots qu’il contient. Toutefois, dégager la prononciation d’un mot à partir de cette transcription exige une certaine pratique, ce qui n’est pas le lot de tous. Mais la version électronique de ce dictionnaire nous fournit, en plus, la prononciation réelle de certains mots. Et moelle est du nombre. Donc aucune méprise possible sur sa prononciation. Il faut dire (mou-a-le) [mwal].  C’est comme ça… Pourquoi pas [mwɛl]? Pourquoi la voyelle qui suit la semi-consonne n’a-t-elle pas conservé ici sa valeur propre, comme cela est le cas dans oui [’wi] , fouet [fwɛ]et joua [ʒwa]? La graphie de ce mot serait-elle défecteuse? Ne devrait-elle pas être « moälle », plutôt que moëlle, si sa seule et unique bonne prononciation est [mwal]?

Les « fautifs », ceux qui écrivent moëlle, devraient dire non pas (mou-a-le) mais bien (mo-elle), car le tréma sert à « indiquer que la voyelle qui précède doit être prononcée séparément ». Mais le prononcent-ils vraiment ainsi? Non. Leur prononciation serait-elle défectueuse? Euh… Mais qui a décidé que la bonne prononciation serait [mwal]?

Dans le même ordre d’idées, deux questions me viennent tout à coup à l’esprit :

  1.  Les mots qui contiennent  la suite oe où le o se prononce ou [w] ne devraient-ils pas, comme moelle, s’écrire sans tréma? Sans doute, mais je n’ai trouvé qu’un seul mot où cette logique est respectée, c’est boette [bwɛt].
  2. Les mots dont une des lettres se prononce ou[w] – sans que ce soit ou comme dans genou – ne devraient-ils pas s’écrire avec un oe sans tréma? Sans doute. Mais là, c’était en demander un peu trop. Des surprises m’attendaient.

Si la prononciation de boësse est [bwɛs], comme l’indique le Petit Robert, à quoi sert alors le tréma? Ne devrait-il pas indiquer, ici comme ailleurs, que la voyelle qui précède doit être prononcée séparément et que, par conséquent, la « bonne » prononciation devrait être bo-esse? Qui a décidé que, malgré la présence du tréma,[bwɛs] est la bonne prononciation? Euh…  Alors ceux qui mettent un tréma à moëlle – ceux que l’on dit « fautifs » – pourraient toujours s’inspirer de boësse pour justifier que leur  prononciation de moëlle n’a pas à différer de celle qu’impose l’orthodoxie et que, par conséquent, cette graphie (avec tréma) n’a peut-être pas à être condamnée. Mais, aucun réviseur n’admettra ce raisonnement, pourtant logique, car raisonner ainsi laisserait entendre que la langue française a une logique interne… Il en est qui le croient (2), mais je ne suis pas du nombre.

Et que dire de poêle [pwal], de foène [fwɛn] (3) et de moère [mwɛʀ]? Pourquoi avoir mis un accent sur le e de la suite oe, si le o se prononce ou, comme l’indique le NPR? L’absence de cet accent ne devrait pourtant rien changer à leur prononciation, si l’on prend exemple sur celle de moelle ou encore de  boesse. Mais les régents en ont, semble-t-il, décidé autrement…

Et n’allez surtout pas penser que le o de la suite se prononce toujours ou, comme dans fne et mre. Que non! Ce serait trop simple. En effet, pte (4) ne se dit (pouette) [pwɛt], mais [pɔɛt]; nme ne se dit pas (nouemme) [nwɛm] mais bien [nɔɛm]…  Il ne faudrait pas, non plus, penser que le oe sans tréma se prononce toujours ou. Il suffit de penser à foehn [føn], ø étant la transcription phonétique du son eu, comme dans peu, deux. C’est, direz-vous, un mot d’origine allemande, qui se prononce ainsi dans sa langue d’origine. Soit. Mais le corollaire obligé est qu’il faut connaître l’allemand pour le prononcer correctement. N’est-ce pas trop exiger du locuteur moyen? Il y aurait beaucoup à dire de l’emploi du tréma sur les mots d’origine étrangère (5), mais cela dépasse l’objet de ce billet. Je vais tout de même m’attarder à l’un d’eux, canoë, parce qu’il contient cette fameuse suite oe.

             En anglais, ce mot s’écrit canoe et se prononce (canou) [kə –‘nü], selon le  Merriam-Webster. Le français non seulement ne le prononce pas comme dans sa langue d’origine, contrairement à foehn, mais il l’a affublé d’un tréma. Et la « bonne » prononciation serait  (ca-no-é)! Le ë  se prononce é! Qui dit mieux? Il ne faut pas être phonéticien diplômé pour constater que, parmi les trois seuls noms qui, dans le NPR, se terminent par un ë (ciguë [sigy], besaiguë [bəzegy], canoë [kanɔe]), le petit dernier fait bande à part. Je l’appelle le « petit dernier », car il n’est apparu que récemment dans les dictionnaires. Le premier à l’inclure dans sa nomenclature, c’est le Grand Robert (1958). L’Académie suivra quelque 30 ans plus tard, i.e. en 1985 (DAF, 9e éd.).

Canoë devrait donc, selon toute logique, se prononcer [kano], le ë final devant être muet. Sauf qu’il existe déjà un autre mot qui se prononce ainsi : canot. Il fallait donc le prononcer différemment pour éviter toute confusion. D’où sans doute la prononciation « officielle ». Recourir à un tel argument, c’est admettre que la langue française a une sainte horreur de l’homonymie… Vous savez, tout comme moi, que c’est (sais, sait, ces, ses?) s’illusionner que de le prétendre. Alors… Si on voulait à tout prix distinguer phonétiquement canoë (apparu en 1867, selon le NPR) de canot (apparu en 1519), pourquoi les régents ont-ils choisi de mettre un tréma sur le e final, quand ils savaient que ce ë se prononce pas, et de lui attribuer un son que lui seul aura, à savoir é? Euh… Personne ne semble se plaindre de cette étrange graphie ou de cette étrange prononciation. Ou si on s’en plaint, les régents font la sourde oreille, car, dans les dictionnaires, on ne trouve rien d’autre que canoë. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on aurait pu faire beaucoup mieux. On aurait pu, par exemple, lui mettre un accent aigu.

Dans le Robert québécois d’aujourd’hui (ISBN 2 9802978-0-1, 1993), on trouve l’entrée canoé . Si, au Québec, nous écrivons plus couramment – pour ne pas dire exclusivement – canoé, ce n’est pas que nous voulons nous démarquer du reste de la francophonie. Nous l’écrivons tout simplement comme nous le prononçons (qu’y a-t-il de mal à cela?). Le Grand Robert était au fait de notre écart orthographique, car il dit : « Au Canada, où l’on écrit aussi canoé […] ». Mais les différentes éditions du Petit Robert n’ont jamais repris cette remarque. Il n’y a toujours qu’une graphie reconnue : canoë. A. Goosse, dans Le Bon Usage 2008, n’est pas insensible à notre « régionalisme ». Il écrit : « L’Ac. 2001 entérine la graphie aberrante canoë qui contredit la prononciation [kanɔe]; les Québécois préfèrent avec raison canoé. »  Je peux donc m’inspirer de Goosse et dire qu’il s’agit bel et bien d’une aberration. Qu’y aurait-il de mal à écrire canoé, autrement dit à l’écrire comme on le prononce? Absolument rien, sauf que les régents se refusent toujours à faire ce « grand » petit pas. Grand, parce qu’il leur semble irréalisable; petit, parce que c’est une modification mineure.

De toute évidence, le système graphique et le système phonologique, officiels s’entend, ne font pas toujours bon ménage. Alors invoquer l’un pour justifier l’autre n’est pas ce qu’on pourrait appeler un argument de poids. Loin de là. Autrement dit, les signes orthographiques, ou auxiliaires, ne sont pas, malgré leur raison première, d’une utilité assurée pour connaître la prononciation des mots. Force est de reconnaître, au seul examen de certains emplois du tréma, qu’il y a bien des incohérences. Cela ne devrait toutefois pas nous surprendre, car nous n’en sommes pas, en français, à une incohérence près. Il y aurait donc une réforme à faire.

À propos de réforme, quelle ne fut pas ma joie d’apprendre que le CSLF (Conseil supérieur de la langue française) s’est intéressé au sujet. Encore mieux, « l’emploi du tréma est amélioré », nous dit le Grand Vadémécum de l’orthographe moderne recommandée (p. 22). Enfin, me dis-je! On va mettre un peu d’ordre là-dedans. Mais avant de célébrer, j’ai voulu vérifier si vraiment, comme on le dit dans l’avant-propos (p. 3), « les nouvelles règles […] apportent à l’orthographe du français encore plus de logique et de rigueur ». Il y a si souvent loin de la coupe aux lèvres…

C’est ce nous vérifierons prochainement.

MAURICE ROULEAU

(1)      L’arrêté Haby (28 décembre 1976), intitulé Tolérances grammaticales ou orthographiques, voulait qu’on tolère l’emploi du féminin dans ce cas particulier (art. II, point 15 : double genre). Mais cette tolérance n’a jamais été « tolérée » par les régents de la langue. Ils ont préféré continuer à remplacer un mot féminin (certaines gens) par un pronom masculin (ils)! Vive la logique!

(2)      Bouchard P., Anti-manuel d’orthographe. Éviter les fautes par la logique, Victoires Éditions, Paris, 2008, 88 pages. http://www.monde-diplomatique.fr/2009/03/DA_SILVA/16927 Quiconque s’en donnerait la peine pourrait écrire un livre beaucoup plus volumineux intitulé : Les fautes intelligentes; la logique, source de bien des maux en français.

(3)      Depuis son apparition dans les dictionnaires, ce mot en a vu de toutes les couleurs.

  • Dans le Littré (1872), à l’entrée fouine, on peut lire : « On dit aussi en ce sens foène et foane. »
  • Toujours en 1872, Larousse dans son  Grand Dict. universel du XIXe siècle (Tome huitième, p. 657) en dit autant. Toutefois, dans le Petit Larousse (1905), il apporte des changements majeurs : 1) foène est disparu; 2) une nouvelle entrée apparaît : foëne ou fouëne (syn. fouine, fouanne); 3) à l’entrée fouine, la remarque (On dit aussi foène et fouane) est enlevée.
  • Le Grand Robert, en 1958, entre dans la danse, de façon assez particulière. Il s’inspire et du Littré, et du Petit Larousse 1905, mais en partie seulement. L’entrée principale n’est plus fouine, mais [foëne, foène [fwen] ou fouine [fwin]]; fouane disparaît comme par enchantement. Mais il en rajoute. On peut y lire : « REM. On rencontre aussi les formes fouëne, foesne [fwen] et fouanne, foine [fwan]. »
  • Dans le Petit Robert 1967, l’entrée est devenue [foène ou foëne]; fouine ne désigne plus un gros harpon, mais seulement l’animal! Dans les éditions de 1977 à 1992, l’entrée est modifiée à nouveau; elle devient [foène, foëne ou fouëne]! Puis, en 1993, année de parution du premier Nouveau Petit Robert (NPR), l’entrée est, une fois de plus modifiée; elle devient  [foène, foëne] (fouëne disparaît). Quelque part entre 2007 et 2010, l’entrée change pour la nième fois; elle n’est plus que foène [fwɛn]. On peut toutefois lire à la fin de l’article « On écrit aussi foëne ». Ce déplacement du mot ainsi écrit serait-il le signe avant-coureur de sa disparition? On pourrait le penser.

Chose certaine, ce mot en a vraiment vu de toutes les couleurs. Quant à la recherche d’une explication des différentes formes, apparues et disparues, mieux vaut en faire son deuil.

(4)    Poète s’écrivait autrefois poëte.  Puis, pour une raison inconnue, le tréma a été remplacé un accent grave. Cette modification était-elle censée changer la prononciation de ce mot? Si non, à quel besoin répondait-elle? Euh… Ne serions-nous pas en présence d’une intervention du genre : « Bonnet blanc, blanc bonnet », donc inutile? On peut se permettre de le penser, mais pas de le professer.

(5)      Je pense, entre autres, à angström, büchner, capharnaüm,  führermaelström, röntgen…

PROCHAINS  BILLETS

Le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) apporte des « rectifications » à l’emploi du tréma. Dans certains cas, il le déplace; dans d’autres, il l’ajoute. Ces nouvelles règles méritent-elles qu’on les défende bec et ongles, comme certains le font? Dans les trois prochains billets, j’examinerai la pertinence de ces rectifications. J’essaierai d’établir si vraiment ces « rectifications » « apportent à l’orthographe du français encore plus de logique et de rigueur ».

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34 commentaires pour MOELLE ou MOËLLE

  1. Diane Lapierre dit :

    Il s’agit plutôt d’une question? le mot « moelle » a-t-il déjà porté un tréma? À ma connaissance, dans les années 70, nous apprenions à mettre un tréma sur ce mot. Selon certaines sources sur l’Internet, cela est exact. Qu’en est-il au juste? Merci.

    • rouleaum dit :

      Que je sache, il n’en a jamais porté. Mas je n’ai pas la science infuse. Chose certaine, en 1967, année de parution du Petit Robert, le mot s’écrivait sans tréma. Si, dans les années 1970, on vous a appris à l’écrire avec tréma, j’aimerais bien savoir sur quoi ces enseignants s’appuyaient pour justifier leur façon de faire. Connaissaient-ils seulement la graphie officielle? Comment le prononçaient-ils? mwal ou mwel ou mo-elle? Difficile de savoir, j’en conviens.

      Ça pourrait facilement être une faute « intelligente ». Mais ce genre de faute n’est pas encore reconnu par les régents de la langue.

      Sur Internet, on peut trouver de tout. Que l’on trouve moëlle à côté de moelle ne me surprend pas. Pour moi, la Toile n’a jamais été une source fiable à 100 %, pas plus d’ailleurs que les dictionnaires, peut-être même un peu moins.

      À propos de fiabilité des dictionnaires, je vous invite à lire les deux articles suivants, parus dans l’Actualité langagière :
      http://www.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/chroniq/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_autr72&page=84#zz72
      http://www.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/chroniq/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_autr72&page=85#zz72

      • Diane Lapierre dit :

        Je vous remercie beaucoup pour votre réponse. Je parlais d’Internet non pas en raison de sa fiabilité, mais pour vérifier s’il en était question. Si jamais, je trouve une ancienne référence, je vous en ferai part. Tout cela m’amène à une autre réflexion. Pourquoi tant de gens ont aussi appris à mettre un s au verbe du 1er groupe à la 2e personne de l’impératif? Il serait intéressant de traiter de ce sujet dans un de vos billets.

      • Marie-Madeleine, E. Jones dit :

        Bonjour Messieurs-Dame.
        Votre site me plaît. Il me plaît même beaucoup, et je le mets dans mes favoris pour y revenir plus tard, car il est dense, et nécessite du temps et de la concentration pour le suivre.
        Dans l’immédiat, j’aimerais juste réagir rapidement à l’une de vos questions, que je me pose aussi, et qui est la raison pour laquelle je suis tombée sur ce site.
        J’aimerais ici rapidement réagir à la question de savoir s’il est plus judicieux de s’en référer à l’internet ou aux bons vieux dictionnaires papier. Personnellement, je me fie très peu aux dictionnaires d’internet, à moins qu’ils ne soient les copies des vrais, grands dictionnaires de la langue française que nous avons toujours connus – et encore !… En règle générale, je ne me fie de manière définitive qu’aux dictionnaires parus AVANT 1975, quels qu’ils soient, donc en tous les cas en papier, et ce, en raison d’une admission douteuse, à cette date, d’un nouveau membre dans ce comité des sages érudits et décideurs de notre verbe. Si durant tout le XXe siècle (et peut-être déjà au XIXe, je crois), notre langue a connu les assauts des simplificateurs d’orthographe et de grammaire, il n’est pas difficile de constater que c’est depuis cette date fatidique de 1975, que le problème a pris des proportions inquiétantes, menant à un tel désintéressement parmi la population francophone pour les subtiles nuances de leur moyen d’expression, que ce fut également le début d’une descente désastreuse vers l’analphabétisme, pas encore perceptible à cette époque-là, mais bien ancrée maintenant dans notre société, et dont nos jeunes font le plus cruellement les frais.
        Ce qui est en train de se passer avec notre langue est grave, même très grave, car la langue est en symbiose, si je puis dire, ou en tous cas en interaction avec la pensée : si vous destructurez la langue, vous destructurez la pensée : si vous simplifiez une langue à outrance, vous diminuez, par conséquent, non seulement les moyens d’expression des personnes qui la parlent, mais également leur capacité de penser d’une manière subtile et structurée. C’est un processus qui a été mis en route aussi à la date pour moi honnie, à ce sujet, depuis 1975, sous l’impulsion et avec l’intervention quasi militante dans les années qui ont suivi (surtout dès les années 90) des autorités éducatives de plus d’un pays francophone (je suis en Suisse).
        Nous aurons l’occasion d’en reparler, si cela vous intéresse. En attendant, je vais étudier votre site, et y prendre beaucoup de plaisir. Je vous remercie de publier ainsi votre travail.
        …………………………………………………………
        Avant de conclure, juste une petite remarque encore :
        Je dois avoir à peu près le même âge que Mme Lapierre, car j’ai appris à orthographier le mot MOELLE de la même manière qu’elle, avec le tréma, mais j’ai remarqué également qu’il était parfois écrit sans. Le changement a dû se produire après 1970. D’où ma recherche pour un peu d’éclaircissement. Je suis très heureuse d’être tombée sur votre site. Il me semble toutefois que pour pouvoir suivre l’évolution d’un mot ou de son orthographe, il faudrait remonter assez haut dans les versions anciennes des dictionnaires, et qu’on ne trouve probablement plus que dans les bibliothèques ou chez les bouquinistes. C’est un travail très intéressant, et qui demande beaucoup d’investissement. Merci d’y contribuer.
        Avec mes cordiales salutations, et à bientôt,
        Marie-Madeleine E. Jones.

  2. Koalazang dit :

    Ce nouveau billet me fait penser à la faute (?) de prononciation que les gens (du moins, ceux de mon entourage, en Belgique) font avec ‘oesophage’. J’ai moi-même toujours prononcé [ø] et non [e] (ce que réclame le Robert) ; des membres de ma famille, qui travaillent dans le domaine hospitalier, commettent à l’unanimité l’irréprochable écart. Par la même, j’entends ‘oenologue’ avec [ø].
    Sur ces mos, je pense utiliser à l’avenir les deux prononciations en fonction de mon public… histoire de ne pas passer pour un pédant auprès de certains, et d’un abruti auprès d’autres.
    Quelle prononciation se fait entendre par le commun des mortels au Québec ?

    • rouleaum dit :

      Personnellement, j’ai toujours dit eu-sophage et non pas é-sophage. Je fais, à ne pas en douter, partie du commun des mortels, mais avant de me prononcer pour eux, j’ai demandé à une de mes amies, infirmière. Elle n’a jamais entendu autre chose que eu-sophage.
      Par contre, je parle du complexe d’é-dipe et non pas d’eu-dipe.
      Je dis maladie cé-liaque et non ceu-liaque.

      Pour ce qui est de oenologue, je n’utilise jamais ce mot (il fait seulement partie de mon vocabulaire passif). Je ne l’entends jamais prononcer. Je ne saurais donc vous dire quelle prononciation est privilégiée chez nous.

      Il faut dire que, dans ces mots, le o et le e ne forment qu’un seul signe, contrairement au o et e de moelle : œsophage et non oesophage.

      • Yves d'Oultremont dit :

        Pardonnez-moi, mais mes oreilles se hérissent à la lecture de votre phrase: « Je ne saurais donc vous dire.. ». Il me parait évident ici que l’emploi du verbe « savoir » ne convient pas en ce cas et que c’est bien « pouvoir » qui convient. « Je ne pourrais donc vous dire.. » a un tout autre sens, celui que vous aviez d’ailleurs souhaité y mettre. Si vous saviez quelle prononciation était privilégiée chez vous, vous pourriez alors nous le dire. Il fallait le savoir pour pouvoir en parler. Vous ne le sauriez pas que vous ne pourriez plus en parler. Essayez de relire en intervertissant ici les verbes et l’erreur vous saute au visage.
        Enfin, avec mes 64 ans, j’ai quand même la mémoire assez bonne pour me rappeler qu’à l’école (belge) et dans mes lectures littéraires, donc de rédaction bien antérieure, c’est l’orthographe moëlle qui figurait dans nos livres, en tout cas jusqu’en 1971 (date de mon entrée à l’université). Mais les relire pour retrouver la preuve de cette assertion me prendrait trop de temps que je préfère consacrer à de nouvelles lectures, comme les vôtres.
        Merci pour vos analyses claires et cohérentes.
        à vous relire encore avec plaisir,
        Yves d’O.

        • rouleaum dit :

          Je ne m’attendais pas, en écrivant cette phrase, à vous créer autant de désagrément. La lecture que vous faites de « Je ne saurais vous dire… » est tout à fait exacte. Savoir a bel et bien ici le sens de pouvoir. Mais l’emploi que j’ai fait de ce verbe est-il pour autant fautif? Je ne m’étais jamais posé la question, car je l’utilise spontanément dans ce sens. Et ce, depuis fort longtemps. Ce qui ne signifie pas pour autant que cela soit correct. Je vérifie donc dans mon Petit Robert. Et voici ce que je lis à l’entrée « savoir » :
          3. (Nord; Belgique, Luxembourg, Burundi) Pouvoir. Il ne sait pas rester tranquille. « Ses deux jambes étaient insensibles et elle ne savait les remuer » (Schwob).
          4. (Au conditionnel et en tour négatif avec ne seul) Pouvoir. Je ne saurais vous répondre. « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » (Molière).
          ◆ (Sujet chose) « Ni la goutte, ni la colique ne sauraient lui arracher une plainte » (La Bruyère)
          Autrement dit, vous avez raison, et je n’ai pas tort. Nos honneurs sont saufs.

          Pour ce qui est du tréma que vous dites avoir toujours vu sur moëlle, avant 1971, je ne peux rien vous opposer. C’est votre expérience et non la mienne. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le tréma a déjà existé sur moelle, mais qu’il en est disparu depuis belle lurette. Vous pouvez le vérifier en cliquant sur le lien suivant : http://artflsrv02.uchicago.edu/cgi-bin/dicos/pubdico1look.pl?strippedhw=moelle

          Bonne lecture

      • Fran dit :

        J’ai eu un prof (de philo) qui nous a dit de prononcer le « œ » des mots comme œnologue, œsophage, œdipe, fœtus… « é » (comme dans mémé) et ceux avec « æ », « è » (comme dans mère). Ces mots ont des origines grecques et le « œ » dans les mots français est parfois remplacé par « é » (fétus, par exemple)

  3. Marc81 dit :

    Bonjour.
    – Une précision, tout d’abord : moelle s’est prononcé mo-èl jusqu’au début du XVIIe siècle. Quant à son éventuelle accentuation, elle aurait une justification étymologique, puisque le mot vient du latin medulla, devenu medole, puis mëole, moële et autres variantes, et enfin moelle (sources : Dictionnaire général et TLFi).
    « moëlle épinière » (Wace)
    « rompre l’os et sucer la sustantificque mouelle » (Rabelais)
    « Dusk’a la moële des os » (Reclus de Molliens)
    La BDL précise : « À l’époque où la diphtongue oi se prononçait [wE] (ouè), et non [wa] (oua), moelle se prononçait [mwEl] (moèl). C’est sans doute par analogie avec l’évolution phonétique de cette diphtongue que l’on dit aujourd’hui [mwal] (moil) plutôt que [mwEl] (moèl). L’influence de l’orthographe sur la prononciation a probablement ralenti cette évolution et fait subsister la prononciation [mwEl] (moèl) ».
    – Une question, ensuite : j’avoue avoir tiqué à la lecture de votre phrase : « C’est ce qu’on m’a appris, mais qu’on ne m’a jamais justifié ». La construction justifier quelque chose à quelqu’un est-elle correcte ?

  4. barzak dit :

    la langue française a était inventé par des génies pour les con..qui n’est pas con-vaincu de sa ?

    • rouleaum dit :

      Vous avez droit à votre opinion. Mais si vous pensez réellement ce que vous dites, je me vois pas pourquoi vous consultez mon blogue. À moins que ce ne soit qu’une boutade.

      • Fozami dit :

        Si Barzak vient consulter votre blogue, c’est pour apprendre à orthographier un peu mieux : 4 fautes en une phrase, c’est pas mal…
        La prononciation de langue française A une logique interne, qui est en grande partie dictée par l’étymologie comme le dit Marc81.
        À propos de « ciguë, besaiguë et canoë » : si les prononciations diffèrent, la fonction du tréma pour ces trois mots (comme pour aiguë, contiguë, ou encore ambiguë) est la même : modifier la règle de prononciation.
        Canoë vient probablement des Indiens d’Amérique, car le mot a fait des allers-retours, en passant par l’espagnol, canoa, en perdant son « e », ou son tréma, d’où aussi « canot »…
        Bref, un mot qui a été ballotté !
        Quant à « bonnet blanc » et « blanc bonnet », ce n’est pas pareil à mon avis, foi de poëte, hihihi

  5. L'épicène dit :

    Bonjour. Mon expérience personnelle de mortel’ tout à fait commun’ est, je m’en aperçois à la lecture de votre article, de tenir mwel et mwal pour deux mots différents. La nuance sémantique (qui n’existe sans doute que dans mon esprit) serait celle-ci : la mwel est osseuse, notamment épinière, tandis que la mwal est le substantifique contenu du nonosse dont on récompense le chien. C’est la même matière, seul le contexte change : mwel quand elle reste à sa place dans l’organisme, mwal quand on l’en extrait (comme pour le porc qui, en élevage intensif ou en boucherie, n’est qu’un produit alimentaire qu’on voudrait sans lien avec le cochon, animal autrefois élevé comme tel dans les fermes et personnage de contes). Détail amusant, j’écris moëlle dans les deux cas ; c’est toutefois un doute à ce sujet qui m’a conduit’ sur votre blog.

  6. MEOULE dit :

    Personnellement j’ai toujours écrit Moëlle.Mon patronyme dérive par ailleurs de Medula latin.bas-latin Meula devenu par la suite Meüle ou Mëule (pronociation mé-ou-le)Dans les Landes où ce patronyme existe le digramme EU est prononcé à l’instar de la diphtongue gasconne « ew » d’où Mew-le. Meoule voire Meole est devenu Moëlle par métathèse.

    • rouleaum dit :

      Les informations que vous nous fournissez sont exactement celles que nous pouvons lire dans le NPR.

      moelle [mwal] nom féminin
      étym. moele par métathèse 1265; meole xiie ◊ latin medulla.

      Les vôtres ont l’avantage d’avoir une touche personnelle. Et je vous en remercie.

      Il n’en demeure pas moins qu’écrire moëlle au lieu de moelle va à l’encontre de l’orthodoxie du moment.

  7. David Bernagout dit :

    Euh, chouette ! C’est aussi un doute qui m’a conduit ici (et les doutes conduisent prudem(m)ent !)…
    Et, du coup, un autre doute : la double consonne, substantifique moelle, n’aurait-elle rien à y voir (écart est) ?
    ;-))>

    • David Bernagout dit :

      enfin, il me semble que la règle interdit a priori les accents avant les doubles consonnes (ou double-consonnes ? 😉 )

      • Fran dit :

        Le tréma n’est pas un accent, puisqu’il ne change pas la prononciation de la voyelle, mais une indication qu’il faut séparer les sons de deux voyelle consécutives…

        • rouleaum dit :

          Je comprends mal votre intervention. Est-ce que, d’après vous, j’aurais dit une telle chose? J’ai relu mon texte et n’ai rien trouvé qui aille dans ce sens.

          Je suis parfaitement d’accord avec vous. Le tréma est une signe diacritique. Rien d’autre.

          • Fran dit :

            Désolée, je répondais à David Bernagout (16 octobre 2014) : « … il me semble que la règle interdit a priori les accents avant les doubles consonnes »

  8. RICHARD dit :

    Merci d’avoir confirmé par cet article détaillé mon intuition et d’avoir tiré la substantifique moëlle de ce point d’orthographe 🙂

  9. De mon intuition et mon expérience—donc sans source à l’appui—, le tréma dans «moëlle» (mais aussi «Noël» et «poëte») servait à distinguer l’oe d’œ, tout comme le tréma dans «Michaël» et «Raphaël» servait à distinguer l’ae d’æ. «Œ» et «æ» n’expriment qu’un phonème alors qu’«oe» et «ae» en expriment deux. Le tréma servait donc à indiquer qu’il ne s’agissait pas de digrammes mais bien de deux graphèmes distincts. C’est pour cela qu’en anglais on peut aussi trouver le vieux «aëroplane» dans la littérature. À noter que les noms propres ont tendance à conserver les anciennes orthographes.

    • rouleaum dit :

      Point n’est besoin de vous dire que l’ajout de sources à l’appui de votre « perception » serait fort utile pour mieux répondre à la question posée.

    • sam dit :

      Ça semble assez logique, même si ça nécessite quelques références.
      On retrouve l’orthographe « moële » dans le Roman de la rose de Jean de Meun, il s’agit certainement d’une différenciation entre le « oe » et le « œ » dans le contexte, je n’ai rien trouvé de plus récent (XIIIème s.).
      J’émets l’hypothèse que dans l’esprit des gens, le tréma changeant la prononciation de certaine lettre, il justifierait le e prononcé [a]. Cet accent n’est pas toujours clair pour tout le monde, avec des mots comme canoë, et surtout aiguë, l’utilisation sur un e muet est ambiguë.
      Très bon article en tout cas.

  10. margueritedesmondes dit :

    Bonjour, je me suis régalée à vous lire … et m’abonne!
    Merci beaucoup .
    Marguerite

  11. LE CHEVALIER JANINE dit :

    Pourquoi m’inscrire ? Par amour des mots, de leur histoire…

  12. Michel dit :

    Bon sang de bonsoir! quelle article!
    Ne pouvant m’empêcher de croire que ma seule existence et mes connaissances ont un rôle à jouer dans la pérennité de nos coutumes, je me permets de vous faire part de ce qui m’a été (me fut*) enseigné dans ma prime jeunesse.
    Notre instituteur nous avait appris ce qu’était les homonymes et parmi eux se trouvaient le poil, la poêle et le poële. Suivant cette logique, il en vint forcément à la moëlle, mot situé dans la série de ceux qui se prononcent ouah! mais qui s’écrivent pas pareil, j’ai fait exprès – ici aussi. Il nous expliquait que le tréma, ce signe fantastique et mystérieux dans l’imagination d’un enfant, indiquait une prononciation différente. C’était les années 60-70 et on ne se demandait pas pourquoi Noël lui ne se prononçait pas Noal. En cette période de réforme impérialiste, je garde ce petit bout de certitude en moi comme l’on garde la culture en voie de disparition d’un peuple d’autrefois.
    Michel
    *j’ai toujours un doute avec l’emploi du passé simple et antérieur. Il me semble avoir appris que ceux-ci s’utilisent pour des actions brèves quand l’usage de l’imparfait et du plus-que-parfait seraient relatifs aux descriptions, mais aussi aux actions longues. Je n’ai pas trouvé de réponses simples à cette question, c’est pourquoi je vous propose deux choix. Et hop! une pirouette.

  13. Maritxu dit :

    Bonjour, pour ma part, j’avais le réflexe d’écrire moëlle et je prononce mo-elle. Mais je suis du sud-Ouest. et nous avons pleins de particularités linguistiques. Par exemple, on prononce UN différemment des parisiens qui prononcent IN. Nous différencions, apparemment cela existait partout avant mais cela s’est perdu. C’est intéressant les différences régionales 🙂

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