Oignon / Ognon (Nouvelle Orthographe) (2 de 2)

 

Éplucher un oignon vous fait larmoyer?

Essayez donc avec un ognon

-2-

 Le précédent billet se terminait de la façon suivante :

N’allez pas croire, à la lecture de ce billet, que je suis contre la Nouvelle Orthographe. Ce serait une grossière erreur. Je suis en faveur de la simplification de la langue française. J’ai trop buté sur ses anomalies, sur ses incongruités pour ne pas souhaiter les voir disparaître à jamais. Devoir écrire ognon plutôt que oignon ne me choque donc pas outre mesure.  Ce que, par contre, j’ai beaucoup de difficulté à accepter, c’est un travail… incomplet, pour ne pas dire bâclé. Je m’explique.

Voici donc l’explication annoncée.

 

Oignon serait-il le seul mot à devoir être corrigé parce qu’il contient une lettre inutile? NON. Je l’ai déjà mentionné. Les experts du CSLF, sans doute pour nous éviter une crise d’apoplexie, n’ont pas voulu s’attaquer à tous les mots présentant le même défaut. Ils semblent avoir voulu procéder par étapes. Je dis « semblent », car ils n’ont jamais présenté cette « rectification » de oignon/ognon comme la première étape d’un plus long processus. Ils ont seulement voulu corriger une anomalie. Celle, apparemment, que crée la présence d’un i dans oignon. Et dans ce seul mot!

Il y a pourtant, dans le NPR 2010, 31 mots contenant la suite -oign-. Oignon est-il vraiment le seul d’entre eux à avoir un i qui ne se prononce pas, un i inutile? Compte tenu que c’est la seule « anomalie » relevée par le CSLF, c’est ce à quoi je m’attendrais.  Mais curieux comme je suis, j’ai voulu m’en assurer.

Quelle ne fut pas ma surprise de voir, dans le NPR 2010 tout comme dans le Petit Larousse 2000, que encOIGNure peut se prononcer de deux façons! La première [ɑ̃kɔɲyʀ] ignore le i; la seconde [ɑ̃kwaɲyʀ] le fait bien entendre. Aucune n’est donc « fautive »! Pourtant l’Académie nous dit depuis toujours (Voir ICI) ― et la 9e éd. dont la publication a commencé en 1985 ne fait pas exception ― que, dans ce mot, on ne prononce point le i. Ah bon!… Sur quoi se basent donc ces deux dictionnaires de langue courante pour dire que le i dans encoignure n’est plus obligatoirement muet? Sur l’USAGE?… Comment expliquer alors que deux sources (l’Académie et les dictionnaires courants), censées décrire ce fameux USAGE, arrivent à des résultats opposés?…  Quelle est la position du CSLF concernant la graphie de ce mot? En recommande-t-il la « rectification »? Absolument pas. On n’en parle même pas. Pourquoi les experts tiennent-ils tant à enlever le i dans oignon, s’ils le conservent dans encoignure? Eux seuls pourraient répondre. Moi, avec les éléments que j’ai en mains, je n’y vois qu’un manque de cohérence. C’est ce que j’appelle un travail… disons « incomplet », pour ne pas dire bâclé.

Depuis quand cette double prononciation de encoignure est-elle admise dans la langue? Depuis longtemps ou depuis peu? Pour le savoir, rien de tel qu’un retour dans le passé. Je l’ignorais, mais cette démarche allait me réserver des surprises.

Pour désigner l’angle formé par la rencontre de deux murs, on utilise, en 1606, le mot encoigneure. Près d’un siècle plus tard, plus précisément en 1694, l’Académie décide d’y mettre son grain de sel : elle y ajoute la graphie encognure,  mot qui se distingue du précédent par la disparition de deux lettres, le i (de oi) et le e (de eure). A-t-elle enlevé ces deux lettres parce qu’elles ne se prononçaient pas, qu’elles étaient inutiles? Peut-être, mais comment le savoir? (1)

Les Immortels de la première génération l’écrivent donc sans i! Dans l’édition suivante (DAF, 2e éd. 1718), ils  virent leur capot de bord, comme on dit parfois chez nous (ailleurs on dira : reviennent sur leur position) : les graphies encoigneure  et encognure sont bannies à tout jamais de leur dictionnaire! Allez savoir pourquoi. La seule graphie qui trouve alors grâce à leurs yeux est encoignure, cette fois-ci avec un i. Ils prennent pourtant bien soin de préciser : « On ne prononce point l’I. » Pourquoi le lui avoir ajouté s’il ne se prononce pas? Parce que, disent-ils, le i sert à mouiller le gn (2). Ah bon!… Mieux vaut entendre cela qu’être sourd.

Si ce qu’avancent les Académiciens est vrai, il y a des choses que je ne peux vraiment pas m’expliquer ou qui semblent en contradiction avec ce qu’ils avancent.

Saviez-vous, par exemple, qu’en 1606 gagner s’écrivait gaigner (faire un gain)? (Voir ICI)  Que l’Académie a décidé, en 1694, de lui enlever son i? (Voir ICI) L’élimination de cette lettre en modifie-t-elle la prononciation? NON. Féraud le dit clairement : « On écrivait autrefois gaigner, mais cette ortographe est contraire à la prononciation […] on croyait l’i nécessaire, pour marquer le gn mouillé. » Autrement dit, on le disait, mais c’était faux. La présence d’un i n’a rien à voir avec un gn mouillé. Si les Académiciens enlèvent son i à gaigner (parce qu’il ne se prononce pas), pourquoi décident-ils, en 1762, d’en ajouter un à encognure, tout en prenant bien soin de nous dire qu’il ne se prononce pas? Mystère ou incohérence? Faites votre choix. J’ai encore une fois fait le mien.

Gaigner est sans doute une exception, direz-vous. Détrompez-vous ! Dans le DAF (1ère éd., 1694), à l’entrée cogner, on peut lire : « Plusieurs escrivent, Coigner. » Les Immortels ont donc décidé d’enlever le i qui les agaçait. Féraud nous le dit d’ailleurs clairement : « Richelet met cogner ou coigner; mais celui-ci ne vaut rien. » Ou encore : « Quelques-uns écrivent coignée. Richelet et Trévoux mettent l’un et l’aûtre: mais coignée est contre la prononciation et l’usage le plus comun, et le plus autorisé. » Pourquoi en effet conserver un i qui ne se prononce pas. Si tel est le cas, pourquoi l’Académie décide-t-elle, en 1718, d’ajouter un tel i  à encognure, graphie qu’elle avait elle-même introduite en 1694, à côté de encoigneure?  Mystère ou incohérence? Faites votre choix. J’ai fait le mien.

Prétendre que le i est nécessaire pour que le gn soit mouillé, ce n’est pas sérieux. Les Académiciens ne pouvaient pas ne pas savoir qu’un gn peut être mouillé sans pour autant être précédé d’un i. Ils n’avaient qu’à penser à Agneau, imprÉgner, cOgnac, répUgner). Et quand il y a un i, le gn est-il vraiment toujours mouillé? Évidemment que NON. Il suffit de comparer les mots igné, igname, ignare.

Selon le Littré (1872-1877), igname et ignare se prononçaient (i-gna-m’) et (i-gna-r’). Mais igné, lui, se prononçait (igh-né), conformément à ce que l’Académie disait depuis 1798 : « On pron. le G dur dans ce mot. » Pourquoi une telle différence de prononciation? Parce que les régents en ont ainsi décidé? Peut-être que non, mais tout me porte à le croire.

Ce qui était la norme du temps de Littré l’est-il encore de nos jours? Tout dépend du mot. OUI, pour ce qui est de ignare (son  gn est toujours mouillé); NON, pour ce qui de igname et igné. Selon le NPRobert, la prononciation « officielle » de igname est double [iɲam; ignam], tout comme celle de igné [igne; iɲe]. Remarquez le glissement : dans igname, c’est le ɲ qui est devenu gn; dans igné, c’est le le gn qui est devenu ɲ. La présence d’un i n’a donc vraiment rien à voir avec un gn mouillé. Et ce n’est pas tout…

Voyons le cas de poigne (ex. Avoir de la poigne). Comment prononcez-vous ce mot? Moi, j’ai toujours prononcé « pogne ». Autrement dit, j’ai toujours, comme dans oignon, ignoré la présence du i sauf quand je l’écris. C’est ainsi que je l’ai appris. Je ne me suis donc jamais posé de question sur sa prononciation. Mais là, je me mets à douter. Pour m’assurer que ce n’est pas une autre prononciation qui me serait particulière, je vérifie ce qu’en dit le NPR. Quelle ne fut pas ma surprise d’y apprendre que ma prononciation est « fautive »! Il faut, paraît-il, prononcer [pwaɲ] et non [pɔɲ]. Je n’en crois pas mes yeux. Encore moins mes oreilles.

Mais avant de battre ma coulpe, je tiens à faire une couple [mot dit vx ou région. en France] de vérifications. Notamment dans le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (publié par DICOROBERT), communément appelé le Robert québécois. J’y lis : [pwaɲ] ou cour. [pɔɲ]. Au Québec, les deux prononciations sont donc vivantes, mais la seconde, celle que moi j’utilise, est la plus courante. OUF, me dis-je, mon honneur est sauf! Mais il me reste une dernière vérification à faire : est-ce que la  prononciation [pɔɲ] n’a actuellement cours qu’au Québec? Difficile à dire. Formulons donc la question différemment. Est-ce que cette prononciation a déjà été admise en français? En français de France, s’entend. Je consulte donc les Dictionnaires d’autrefois. Une autre surprise m’attendait au détour. Voici ce que le Littré (1872-1877) dit de poigne : ce mot « se prononce po-gn’; quelques-uns prononcent poi-gn’ ». Ah bon! Ma prononciation est donc celle qui était la norme, en France, du temps de Littré. Balzac (1799-1850), dans Une ténébreuse affaire, va même jusqu’à l’écrire sans i (3).  Mais au début des années 1960, la situation est, semble-t-il, inversée. D’après le Grand Robert, poigne se dit « [pwañ]; pop. ou vx [póñ] ». Ma prononciation est donc devenue au mieux  « populaire », au pire « vieille ».  En France, peut-être, mais pas au Québec.

Avant de terminer, j’aimerais aborder la dernière phrase du commentaire lu dans le Grand Vadémécum : « Il [oignon] s’harmonise avec rognon de veau et trognon de pomme. »

Voilà une phrase que je qualifierais de sibylline, une phrase dont le sens m’échappe totalement.

Pour les experts du CSLF, « harmoniser » des graphies, c’est faire en sorte que la graphie de tous les mots d’une même famille suive le même modèle. C’est précisément ce qu’ils font quand ils recommandent d’écrire combatif et combativité, non plus avec un t, mais bien avec deux t, la graphie de référence choisie étant combattre.

Que vient donc faire cette phrase sur laquelle le Grand Vadémécum termine sa justification de la nouvelle graphie de ognon ? Qu’ajoute-t-elle à l’argumentation? Je n’en ai aucune idée, car ognon et rognon n’appartiennent pas à la même famille. Si l’on appliquait le même raisonnement, on pourrait aussi bien dire que oignon s’harmonise avec témoigner. Ridicule, direz-vous. Et vous n’auriez pas tort. Ce n’est pas parce qu’un mot (ex. rognon) se prononce d’une certaine façon qu’un autre mot n’appartenant pas à cette famille (ex. oignon) doit se prononcer de la même façon.

Le Grand Vadémécum s’est sans doute mal exprimé. Peut-être qu’il ne dit pas tout. Peut-être oublie-t-il l’essentiel? Si tel est le cas, quel pourrait bien être cet « essentiel »? J’en devine un, démontrable dans le cas de rognon, mais plus hypothétique dans le cas de trognon. Je m’explique.

En 1606, nous dit Nicot, rognon s’écrivait roignonEn 1694, les Académiciens décident lui enlever son i, qu’ils jugent sans doute inutile. Ils ajoutent même : « Quelques-uns escrivent encore Roignon. » Rognon était donc, à cette époque la graphie d’usage, ou celle qu’on veut voir imposée. Et elle l’est toujours.

Se pourrait-il que le Grand Vadémécum ait voulu nous dire, très gauchement, il faut bien le reconnaître, que le i de oignon doit disparaître comme l’a fait, voilà déjà de cela quelques siècles celui de  roignon? Dit ainsi, tout devient clair. Mais est-ce vraiment ce qu’on voulait dire? Je ne peux que spéculer.

Fait-on appel à trognon pour la même raison, non explicitée? On pourrait le penser. Mais mes efforts pour m’en assurer ont été vains. Le Ngram Viewer ne détecte, du XVe siècle à nos jours, aucune occurrence de troignon ». (Clignez ICI pour voir les résultats.) Soit. Mais avant le XVe siècle, qu’en était-il? Pour le savoir, je consulte  le dictionnaire de F. Godefroy (Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle). Encore là, aucune trace de troignon! C’est à se demander si troignon a déjà vraiment existé.

Le NPR nous dit que oui : « Étym. 1660; troignon 1393 ». J’ai effectivement pu retracer l’ouvrage en question. C’est Le Ménagier de Paris (p. 49). C’est donc dans cet ouvrage, rédigé en 1393, mais édité seulement en 1846, que l’on a trouvé  pour la première fois le mot troignon. Peut-être même pour la première et dernière fois, car nulle part ailleurs on ne le trouve. S’agirait-il d’un « hapax », i.e. d’un « fait de langue (mot, expression, construction) dont il n’existe qu’une seule occurrence dans un corpus donné »? Je me le demande sérieusement. Quelle importance faudrait-il alors attribuer à cette occurrence?… Une occurrence ne fait pas loi, m’a-t-on appris. On pourrait même aller jusqu’à se demander s’il existe une différence entre un hapax et une faute d’inattention. Mais passons!

Disons pour les besoins de la cause que troignon a effectivement existé, que sa présence n’est pas une erreur de saisie, ni une erreur de lecture d’un manuscrit ancien, ni une faute  d’orthographe. Cela donne-t-il à la phrase « Il s’harmonise avec rognon de veau et trognon de pomme » plus de sens?… Pas vraiment, car le besoin d’ajouter veau à rognon et pomme à trognon, demeure énigmatique. Rognon ne se dit pourtant pas que des reins de veau, pas plus que trognon, du « cœur » ou de la partie non comestible d’une pomme.  Alors… Cette dernière phrase de la justification de la nouvelle graphie, oignonognon, n’y serait pas que le lecteur n’y perdrait rien. Bien au contraire, il y gagnerait beaucoup.

CONCLUSION

Devoir écrire ognon au lieu de oignon, parce que le i ne se prononce pas, est fort défendable.

Mais ne pas en faire autant avec encoignure, qui pourtant souffre du même mal, cela n’est pas défendable. Sans oublier le cas de poigne et de ses dérivés.

Autrement dit, faire appel à un principe [enlever un lettre inutile, en l’occurrence un i]  et ne l’appliquer qu’à moitié m’amène à penser qu’on a tourné les coins rond. Que ce travail est… disons incomplet, pour ne pas dire bâclé.

Je m’attendais à beaucoup mieux de  la part d’experts en langue. Suis-je trop exigeant? À vous de décider.

MAURICE  ROULEAU

(1)  Comment prononçait-on encoigneure en 1606? Le  e de –eure était-il muet? Est-ce pour cette raison que l’Académie française, en 1694, décide de l’enlever?  Difficile à dire. Pour le savoir je ne peux procéder que par voix indirecte.

Existerait-il d’autres mots en ure dont  l’étymon se terminerait en –eure? OUI, si l’on en croit le NPR. – Je n’ai toutefois pas vérifié si ces informations sont exactes. – En voici quelques-uns : chappeleure   chapelure; diapreure diaprure; esgratineure →  égratignure; esplucheures  épluchure; graveure gravure; inciseure →  incisure; plieure  pliure. Ces changements de graphie traduisent-ils un effort d’harmonisation de la graphie à la prononciation?  La chose est possible. C’est tout ce que je peux dire.

J’ai aussi trouvé des mots qui aujourd’hui se terminent en –ure mais dont l’étymon, d’après le NPR, se terminait en –eüre. En voici quelques-uns : armeüre  armure; bordeüre bordurebruleüre → brûlure; cheveleüre  chevelure; chauceüre → chaussure; enfleüre enflure; forreüre → fourrure; peleüre → pelure.

Compte tenu de la graphie actuelle de ces mots, il est fort probable que le e de leur ancienne finale, –eure ou -eüre, ait été muet. Ce n’est toutefois qu’une preuve indirecte.

Il est donc possible que les Académiciens aient tenu compte de ce phénomène quand, en 1694, ils ont introduit, à côté de encoigneure, la graphie encognure. Mais ils l’ont oublié dès l’édition suivante! Preuve que leur décision n’était pas très bien fondée.

(2) Le gn mouillé est représenté, dans l’alphabet de l’A.P.I., par le signe [ɲ]. Ex. : agneau s’écrit [aɲo]. Si le gn n’est pas mouillé, le g se prononce séparément du n qui le suit. Ex. : diagnostic (di-agnos-tique) s’écrit [djagnɔstik].

(3) Dans Une ténébreuse affaire,  Balzac écrit : « Comment ! répondit Violette, vous n’avez  pas reconnu ce gros Michu ? c’est lui qui s’est jeté sur moi ! j’ai bien senti sa pogne. D’ailleurs les cinq chevaux étaient bien ceux de Cinq-Cygne. » (p. 269-270)

 

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12 commentaires pour Oignon / Ognon (Nouvelle Orthographe) (2 de 2)

  1. schtroumpf grognon dit :

    Je suis déçu que nous n’évoquiez pas le cas de Montaigne, qui pouvait encore se prononcer « montagne » jusque dans la première moitié du XXe siècle.

  2. Blanc dit :

    je ne me lasse pas de la lecture de toutes ces démonstrations très pertinentes.

  3. Ludger dit :

    J’ai été extrêmement surpris par vos affirmations :
    – « Féraud le dit clairement : « On écrivait autrefois gaigner, mais cette ortographe est contraire à la prononciation […] on croyait l’i nécessaire, pour marquer le gn mouillé. » Autrement dit, on le disait, mais c’était faux. »
    – « Prétendre que le i est nécessaire pour que le gn soit mouillé, ce n’est pas sérieux. »
    On pourrait interpréter la phrase de Féraud comme : c’était une possibilité ; la langue évolue, son orthographe aussi, le « i » devant « gn » pour le mouiller pourrait être une relique du passé.
    Et vous citez : Agneau, imprÉgner, cOgnac, répUgner ? Selon Alain Rey (DHLF) :
    – Agneau : s’écrivait aignel au XII e et aignelle (féminin) au XIV e
    – Imprégner : empreigner au XIIe
    – Répugner : pas de forme avec « i » trouvée. Le « gn » était-il mouillé ?
    – Cognac vient d’un nom de ville et n’est pas significatif. Son nom saintongeais est « Cougnat » [kunja:].Il s’est écrit Coignac, orthographe qui est restée dans les patronymes Coignac.
    Quant à igné, igname, ignare, ils sont attestés du XV e, en 1515 et 1365. Et « gain » est un déverbal postérieur à « gagner ».

    En plus de Montaigne, dont vous n’expliquez pas l’orthographe dans votre réponse, il y a aussi Philippe de Champaigne ou l’évêque d’Orléans Aignan, écrit aussi Agnan dans les noms propres : Saint-Aignan ou Saint-Agnan.
    Et que penser de « seigneur » (c. 1050 seignior puis c. 1100 seignur < senior) ou bien "enseigner" (ca 1170 < insignare), baigner (1155 < *baneare), etc. ?
    Pourquoi tous ces "i" ?
    Contrairement aux autres chroniques de votre blogue, celle-ci ne m'a pas convaincu sur ce point.
    En l'approfondissant, je me demande si le "i" placé devant "gn" pour le mouiller ne date pas du vieux français et qui aurait perduré dans certains mots, surtout des noms propres.
    Vous ne prenez en compte ni ce domaine essentiel, ni la chronologie dans votre raisonnement.
    Et Féraud n'est pas le premier venu !
    Et la présence du "i" pour mouiller les consonnes suivantes n'est une idée saugrenue car elle existe dans "ill", par exemple dans "cailler". Mais si on l'enlève, cela pose problème !
    Que ce texte n'entraîne pas " la hargne, la grogne et la rogne" ! Ch. de Gaulle, 12/07/1961.

    • rouleaum dit :

      Vous vous dites extrêmement surpris par mes affirmations. Vous en avez le droit. Je ne fais pourtant que paraphraser le texte de Féraud, qui me semble d’une clarté aveuglante. Vous, vous préférez y aller d’une interprétation de ce même texte. Vous en avez toujours le droit. Mais cela reste du domaine de l’hypothétique et non du factuel. Une démonstration de la véracité de votre hypothèse aurait ici été très bien venue. Mais elle manque cruellement.

      Puis-je me permettre de vous dire à mon tour que je suis extrêmement surpris de certaines de vos affirmations. Je n’en saisis pas toujours la pertinence. Sans doute me suis-je mal exprimé.

      Si je ne cite pas, comme vous le faites, les anciennes graphies de agneau, imprégner, cognac et répugner, c’est pour une raison fort simple : elles n’avaient aucune place dans le raisonnement que je présentais. En 1835, les Immortels prétendaient toujours que dans oignon : « L’I ne se prononce point, mais il sert à mouiller le G. » Si tel était le cas, pourquoi le mouillait-on, à la même époque, dans les 4 mots que je cite? Vous me reprochez de ne pas respecter la chronologie dans mon raisonnement, en êtes-vous toujours convaincu?

      Vous me reprochez de ne pas avoir expliqué l’orthographe de Montaigne ni celle de Philippe de Champaingn, etc. Si je ne l’ai pas fait, c’est encore pour une raison fort simple. C’était hors propos. Je ne m’intéressais qu’à la suite -OIGN- et non pas à celle de -AIGN-.

      Que dois-je comprendre de : « Et Féraud n’est pas le premier venu! » Que ce n’est pas n’importe qui? ou Qu’il y en a eu d’autres avant lui qui se sont prononcés sur le sujet? Je ne saurais dire. Je ne comprends donc pas la pertinence de cette phrase.

      Quant à la dernière phrase sur l’effet de la présence du i pour mouiller le double « l » dans cailler, sa pertinence m’échappe totalement. C’est encore hors propos. Je ne me suis intéressé au pseudo-effet du « i » que dans la suite -oign-.

      Je terminerai, comme vous, en souhaitant : « Que ce texte n’entraîne pas la hargne, la grogne NI la rogne ».

      • Blanc Marie-Catherine dit :

        J’ai entendu dire que pour ne pas pleurer en épluchant un oignon, il fallait le mouiller en laissant couler un filet d’eau dessus. 😀😋

  4. Vítor Bueno Figueiredo de Paula dit :

    Vos textes m’inspirent fortement, M. Rouleau ! Après avoir commencé à lire votre blogue – lecture que je considère obligatoire à présent – je suis passé de quelqu’un qui voulait à tout prix corriger les prétendues erreurs dans le discours des autres à quelqu’un qui aime analyser les différentes façons dont chacun parle, dont chacun exprime ses idées. J’ai pu enfin comprendre que l’usage est le maître des langues et aussi – ce que je trouve malheureux – qu’il y aura toujours des régents qui voudront apporter leur grain de sel à n’importe quel sujet.
    J’ai décidé de vous écrire ce petit commentaire aujourd’hui, aussi parce que j’ai lu la série de billets « Le français, une langue vivante », où vous nous expliquez comment les mots naissent et meurent. Voilà à peu près dix ans que j’ai appris les mots métonymie, catachrèse, antonomase, troncation, composition et beaucoup d’autres, qui ne voulaient pas dire grand chose pour moi à l’époque, car je les ai appris complètement hors contexte : mémoriser ce que chacun de ces mots voulaient dire était tout ce qu’on faisait à l’école. En lisant vos billets, vous nous apprenez que ce sont des moyens par lesquels les mots naissent, sujet fascinant et assez mystérieux !
    J’ai récemment choisi d’étudier les Sciences du langage et vous avez sûrement pris part à la découverte de ma passion pour la linguistique. Merci !

  5. alain yelle dit :

    inscription

  6. Jean-François dit :

    En fait, bien que vos articles soient à mon sens d’excellente qualité, tout est beaucoup plus compliqué que vous ne l’exprimez. Parfois, vous sombrez peut-être dans le « Parisianisme » des académiciens, certes sans le vouloir ! La langue française est aussi influencée par les autres langues régionales et notamment par le Languedocien. Par exemple, si comme dans la plupart des régions, je ne prononçais pas le i d’oignon, je prononçais et prononce toujours clairement les i d’encoignure et de poigne, même si j’ai entendu l’autre version hors ma région d’origine ! Je me demande même si pendant mon enfance, je n’ai pas entendu prononcer le i de l’oignon ! (mais surtout dans l’expression, « occupe-toi de tes oignons ») Ceci dit, je ne suis plus en mesure de vérifier. J’oubliais, je prononce tout aussi clairement les « e » de fin de mot, ce qui me paraît extrêmement drôle si je suis amené à prononcer « auteure ». Pour un Français languedocien, le e final se prononce, et parfois, il est même transformé en « eu » en exagérant à peine !

    • rouleaum dit :

      Votre témoignage illustre à merveille la différence de prononciation observable d’une région à l’autre.
      Ici, au Québec, la prononciation pogner (poigner) est courante. Ce que confirme d’ailleurs le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (© 1992 DicoRobert Inc., Montréal / © 1992 Dictionnaires Le Robert, Paris). La prononciation du e final, si typique de sud de la France [je me rappelle les films de Marcel Pagnol] n’a pas cours chez nous. D’ailleurs se rencontre-t-elle ailleurs que dans le Midi?…

  7. Jean-François dit :

    A l’origine, les Français partis au Québec ne sont pas originaires du midi, sauf exceptions rarissimes. L’accent qui se rapproche le plus du Québecois est à mon avis, le Berrichon, je m’en suis rendu compte lorsque j’ai fait connaissance avec cette ancienne province, et si vous voulez vérifier, rendez vous ici https://www.youtube.com/watch?v=5MpQ0DZvpXQ
    A ma connaissance, on ne prononce le e de la fin des mots que dans le midi.

    • rouleaum dit :

      Je ne m’y connais absolument pas en dialectes de France. Mais si l’on admet que le berrichon est le parler du Berry (aujourd’hui principalement Indre et Cher), force est de reconnaître que mes ancêtres ne viennent pas de cette région. Mon ancêtre paternel venait de Bacilly, en Normandie, et mon ancêtre maternel, lui, venait de Saint-Jean-de-Luz, en Pyrénées-Atlantique (qui fait partie, à moins que je me trompe, du Midi). Mais la prononciation du e final n’est peut-être pas si prononcée dans cette région. En supposant qu’elle le fut, cette façon de parler ne nous a pas été transmise.
      J’ai d’ailleurs été surpris d’apprendre que ma mère venait du Sud. Les souches de nombreux Québécois sont généralement du Nord.

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