L’appropriation dite… « culturelle » (1 de 2)

A-t-on perdu le nord?

On pourrait parfois être porté à le penser…

MISE EN GARDE :   Ce texte contient peut-être des mots qui pourraient vous offenser. Je préfère vous en avertir.

Étant donné que le mot appropriation se voit régulièrement attribuer par ses utilisateurs un autre sens que les deux seuls que lui reconnaît le Petit Robert (Voir ICI) il ne faut pas se surprendre qu’il en soit de même quand ils la disent culturelle. Soit. Mais…

Mais que signifie réellement pour eux appropriation culturelle? (1) Là est toute la question.

           Idéalement, on souhaiterait en trouver la définition dans son dictionnaire de langue. On saurait alors le sens que l’USAGE [i.e. « l’ensemble des locuteurs »] attribue à ce terme. À la condition évidemment que les différents dictionnaires parlent d’une même voix, ce qui n’est pas toujours le cas (Voir ICI). Que ce soit dans le Larousse en ligne ou dans le Petit Robert, le terme appropriation culturelle ne fait pas l’objet d’une entrée. On dit qu’il ne fait pas partie de la nomenclature [terme technique qui désigne l’« ensemble des éléments répertoriés dans un dictionnaire qui font l’objet d’un article distinct »].

Il ne faut pas s’en étonner, car il n’est pas dans les habitudes du lexicographe d’inclure comme entrée (ou mot-vedette) un terme composé d’un nom et d’un adjectif [le seul que j’ai rencontré est compte rendu]. Cela s’explique facilement : quand un nom est accompagné d’un adjectif, la présence de ce dernier n’en change généralement pas le sens; il ne fait que lui ajouter une qualité qui ne le définit pas (qu’une table soit rectangulaire, basse, bancale ou pliante n’en change pas la nature, elle reste une table). Autrement dit, la combinaison (adjectif + nom/nom + adjectif) n’est généralement pas sentie comme une unité de pensée distincte, comme une réalité différente de celle que désigne le nom auquel l’adjectif est associé et qui, de ce fait, serait définie autrement. C’est pourquoi, dans un dictionnaire de langue, vous ne trouverez en entrée ni règlement municipal, ni patinoire extérieure, ni magnifique spectacle, ni long parcours, ni roman historique, ni élection présidentielle. Je ne vous apprends rien là, j’en suis sûr.

Dans un dictionnaire, on ne trouve, à quelques exceptions près (2), que des lexies simples, ou unités du lexique formées d’un seul élément. Je parle ici, vous l’aurez compris, des dictionnaires de langue générale et non des dictionnaires spécialisés, car ces derniers (3) répondent aux besoins d’une catégorie bien particulière d’utilisateurs.

          Le fait qu’une lexie complexe n’ait pas sa propre entrée dans un dictionnaire ne signifie toutefois pas qu’elle en soit totalement absente. Elle peut fort bien se retrouver, par ex. dans le corps de l’article consacré au substantif et/ou à l’adjectif de la lexie en question, accompagnée ou non d’une définition. On la dit alors hors nomenclature (4).

Qu’en est-il de appropriation culturelle?

           Ce terme ne figure ni à la nomenclature du Larousse en ligne, ni à celle du Petit Robert 2017 [dernière édition que je me suis procurée]. Je l’y ai également cherché hors nomenclature, sans plus de succès. Peut-être l’est-il dans une édition plus récente. Cela serait à vérifier.

 Quel sens devrait-on alors attribuer à appropriation culturelle?

Pour répondre à cette question, il pourrait être utile de savoir ce qu’ajoute l’adjectif au substantif en question.

J’ai appris, dans ma jeunesse, que l’adjectif peut remplir deux fonctions fort différentes :

a) il peut servir à exprimer une qualité de la chose désignée par le substantif auquel il est joint et avec lequel il s’accorde [ex. un concert exceptionnel, une voiture rutilante] (l’adjectif était alors dit qualificatif);

b) il peut servir à dire la nature de la chose nommée [ex. une élection présidentielle; un roman historique] (l’adjectif était alors dit déterminatif).

Ouvrons ici une courte parenthèse.

Cette terminologie a évolué avec les années. Déjà, en 1980 (V. # 694, dans Le Bon Usage, 11e éd. revue, Duculot/ERP) qualificatif et déterminatif avaient acquis, sous la plume des grammairiens, un sens différent de celui qu’on m’avait appris. Je ne comprends pas très bien pourquoi, car, à ses heures, déterminatif peut vouloir dire « qui définit ». Mais passons.

Je vais donc continuer, question d’habitude, à attribuer à ces deux adjectifs le sens qu’on leur donnait quand j’étais jeune, car chacun d’eux dit bien ce qu’il veut dire.

Fermons la parenthèse.

Ce n’est que bien plus tard que j’ai pris conscience de l’existence de certaines lexies complexes (nom + adj.) où l’adjectif semble jouer un tout autre rôle, du moins en apparence.

Quand vous entendez parler d’un blessé GRAVE, vous savez fort pertinemment qu’il ne n’agit pas d’un blessé QUI NE RIGOLE PAS; par blessé LÉGER, on ne désigne pas un blessé QUI PÈSE MOINS DE 50 kg. Ces deux adjectifs qualifient la blessure et non la personne blessée. Personne n’en disconviendra. Et des exemples de ce genre, il y en a plus qu’on le pense. En voici d’autres :  chemise habillée, malade imaginaire, rue passante, tarif aérien, place assise. Ce n’est évidemment pas la chemise qui est habillée, mais bien la personne qui la porte; ce n’est pas le malade qui est imaginaire, mais bien la maladie dont il dit souffrir; ce n’est pas la rue qui passe, mais bien le piéton qui l’emprunte; ce n’est pas le tarif qui est aérien, mais bien le mode de transport; ce n’est pas la place qui est assise, mais bien la personne à qui cette place est réservée. Autrement dit, dans de telles constructions, l’adjectif est accolé à un nom auquel il ne se rapporte pas logiquement, mais avec lequel il s’accorde grammaticalement. OUF! Qui dit mieux!… Cette façon de faire, assez étonnante quand on s’y attarde, se rencontre assez souvent pour qu’elle se soit vue attribuer un nom : hypallage (Le Bon Usage, 14e éd., 2008, # 222).

Il arrive aussi que l’on accole à un substantif un adjectif qui change le sens du terme ainsi créé. Je pense par exemple à livre blanc. L’adjectif ici utilisé ne nous renseigne ni sur la couleur de la couverture du document en question ni sur celle du papier utilisé. Le papier est normalement blanc. Tout livre mériterait donc d’être ainsi qualifié. Mais, quand on dit livre blanc, on a autre chose en tête. On peut même se demander s’il s’agit réellement d’un livre… Il en est de même quand on parle d’un livre vert (5). C’est sans parler des boîtes noires, ces enregistreurs de vol, qui sont tout sauf noires. Elles sont oranges!  Ou encore de la glace noire, qui est tout sauf noire. Elle est transparente.

Un bien grand détour, direz-vous.

Si j’ai fait ce détour par le royaume des adjectifs, ce n’est pas sans raison. Je cherche à savoir ce qu’ajoute l’adjectif culturelle au substantif appropriation.

  • S’agit-il d’un adjectif qualificatif?…
  • Ne serait-ce pas plutôt un adjectif déterminatif?…
  • Et si, par hasard, c’était un adjectif construit en hypallage, quel serait alors le mot sous-entendu?…
  • Se pourrait-il que, dans la lexie en question, il confère à cette dernière un sens qui n’aurait rien à voir avec le sens de chacun de ses éléments constitutifs?

Clarifions dès maintenant certains points.

Étant donné que, dans appropriation culturelle, l’adjectif peut être remplacé par un groupe prépositionnel (i.e. préposition + son régime : de + culture), cet adjectif ne peut pas être dit qualificatif; il est donc déterminatif (6). Déterminatif soit du nom auquel il est accolé, soit, s’il est construit en hypallage, d’un nom sous-entendu. Soit. Mais se pourrait-il qu’à l’instar de l’adjectif dans livre blanc ou livre vert il confère à appropriation culturelle un sens qui dépasse celui de ses éléments constitutifs?…  Difficile à dire en l’absence d’une définition « bien » campée dans un dictionnaire.

Depuis quand parle-t-on d’appropriation culturelle?

Vu que ce terme ne figure ni dans la nomenclature ni hors nomenclature des dictionnaires de langue générale dont je dispose (i.e. parus avant 2018), son apparition dans la langue courante doit être récente. Mais est-ce bien le cas?…

Pour le savoir, il suffit d’interroger Ngram Viewer dont les capacités sont certes limitées mais tout de même fort pertinentes. Si l’on en croit le graphique obtenu (Voir ICI), le terme appropriation culturelle aurait fait son apparition au début des années 1960. Sa popularité n’a cessé de croître jusqu’en 2003. Puis, pour une raison que j’ignore, son utilisation a décru durant une décennie, avant de regagner en popularité à partir de 2013. Pour nous, Québécois, c’est surtout à partir de 2018 que ce terme a pris de l’importance. Nous y reviendrons.

Mais la fréquence d’emploi d’un terme ne dit rien du sens que les locuteurs lui attribuent. Surtout en l’absence d’une définition dans le dictionnaire. J’irais même jusqu’à dire : « Même en présence d’une définition dans le dictionnaire », car, même si cela peut vous paraître inimaginable, inconcevable, cette définition peut fort bien ne pas être exacte. J’en veux pour preuve celle qu’à compter de 1977 le Petit Robert a donné au mot molarité. Il a mis plus de 30 ans pour en arriver, après bien des tentatives, à le définir correctement (Voir ICI). On pourrait en dire autant du mot fjord (7).

Revenons donc à nos moutons. Et tâchons de savoir quel sens il faudrait donner à appropriation culturelle

Nous l’avons vu, l’adjectif culturelle détermine le substantif auquel il est associé, car cette lexie peut être reformulée de la façon suivante : appropriation de la culture. Soit. Mais qu’entend-on par là?

Quand je me suis posé cette question, m’est alors revenue en mémoire l’histoire d’Archibald Stansfeld Belaney, un Anglais d’origine (1888 – 1938). Ce nom ne vous dit fort probablement rien. Pas plus que celui de Grey Owl. N’en soyez pas désolé. Cela ne fait pas de vous une personne inculte.

C’est en 1999 — donc bien après sa mort — que l’histoire d’Archie a pour ainsi dire refait surface. Richard Attenborough en a fait un film, avec Pierce Brosnan dans le rôle-titre. (Voir ICI). Ce film raconte l’histoire d’Archie, qui, à 17 ans, quitte l’Angleterre pour le Canada. Il finit par aboutir dans le nord de l’Ontario, où il devient trappeur. C’est alors qu’il fait la connaissance des Ojibwés, ce peuple autochtone, qui le fascine au point d’apprendre leur langue et de se familiariser avec leur coutumes et traditions. Il épouse même une jeune ojibwée. À l’âge adulte, Archie s’invente une identité amérindienne et prend le nom de Grey Owl.

Ce faisant, il n’a aucunement l’intention de leurrer les gens, de s’approprier la culture des Ojibwés. Il croit en la mission s’il s’est fixée et qui est celle de ces Amérindiens : protéger la nature (Voir ICI).

Il fut même reçu par le roi George VI et ses deux filles, Elisabeth (celle qui allait devenir reine) et Margaret. Il posa pour le célèbre photographe canadien d’origine arménienne, Yousuf Karsh. Tout cela pour vous dire que ce n’était pas un deux de pique (façon toute québécoise de dire que ce n’était pas une « Personne sans importance »).

Sa véritable identité ne fut révélée qu’après sa mort.

Peut-on vraiment, dans ce cas particulier, parler d’appropriation culturelle? En s’inventant une identité amérindienne, en vivant comme les Ojibwés, en s’habillant comme eux, en vivant comme eux et en défendant leur cause, Archie ne s’est-il pas approprié leur culture?… On pourrait le penser. Mais, si tel est le cas, comment expliquer qu’il n’ait jamais été, ni de son vivant ni après sa mort, accusé d’un tel méfait? Serait-ce parce qu’il a vécu à une époque où le terme appropriation culturelle n’avait pas encore cours? — N’oublions pas qu’Archie est mort en 1938. — Ou est-ce parce qu’une telle réalité n’était pas encore un méfait?… Qui sait?

Poursuivons donc notre quête du sens à attribuer à ce terme.

À défaut d’une définition dans le dictionnaire, où pourrait-on en trouver une? De nos jours, la réponse est toute trouvée : sur Internet. Je ne serais pas surpris que certains se risquent même à répondre : sur les réseaux sociaux. Pas surpris, mais certes désolé! D’autres se fieraient à ce qu’en disent des journaux, des magazines, etc. En oubliant peut-être que ce n’est sans doute que l’opinion du rédacteur… (8)

Appropriation culturelle, selon Wikipédia

Sous la plume du rédacteur (ou des rédacteurs) anonyme(s) de cette fiche, Wikipédia (Voir ICI) distingue le sens qu’apparemment on lui attribuait à l’origine de celui qu’on lui attribue aujourd’hui. Soit. Mais encore…

À l’origine

« L’appropriation culturelle désignait à l’origine l’utilisation d’éléments matériels ou immatériels d’une culture par les membres d’une autre culture, dont l’acquisition d’artefacts d’autres cultures par des musées occidentaux. »

À l’origine… mais à l’origine de quoi, au juste? À l’origine de ce qui est décrit ou à l’origine de l’emploi du terme?… Ce sont là deux réalités bien différentes, vous en conviendrez.

À remarquer que le mot utilisation, terme générique employé pour décrire cette opération, est un mot neutre. Il n’y avait donc à l’origine rien de répréhensible, d’illégal, de malhonnête dans le fait de s’approprier (i.e. utiliser) quelque chose appartenant en propre à une autre culture. Les musées occidentaux qui ont fait l’« acquisition d’artefacts » n’auraient donc rien à se reprocher. C’est du moins ce que le texte nous dit. Si tel est vraiment le cas, comment expliquer que la Grèce réclame au Royaume-Uni, et ce, depuis près de deux siècles, la restitution d’une partie de la frise du Parthénon conservée au British Museum? La seule explication serait que la définition qu’en donne Wikipédia ne colle pas très bien à la réalité. Soit dit en passant, d’autres parties de cette frise se trouvent au Louvre et au Vatican. La Grèce les leur a-t-elle réclamées? Je ne saurais dire.

De plus, si l’on se donne la peine de chercher, dans des textes publiés dans les années 1960, des occurrences du terme appropriation culturelle suivi d’un complément du nom, on se rend vite compte que le sens que les utilisateurs lui attribuent est loin de correspondre à ce que Wikipédia en dit (9).

Aujourd’hui

« L’appropriation culturelle se réfère souvent aujourd’hui à l’idée que l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une culture dominante ou jugée néocoloniale serait intrinsèquement irrespectueuse. »

Souvent? Soit. Mais dans les autres cas que désigne-t-il?… Your guess is as good as mine, comme on dit en grec!

Aujourd’hui?  Veut-on dire par là depuis que le terme a fait son apparition, i.e. depuis le début des années 1960? Peut-être.

Vous aurez certainement remarqué que « l’utilisation d’éléments d’une culture par les membres d’une autre culture » [ce qu’était apparemment l’appropriation culturelle à l’origine] se voit aujourd’hui associée à des termes fortement chargés, négativement chargés devrais-je dire : dominant, néocolonial, irrespectueux. Tout, en somme, pour nous faire rejeter d’emblée ce que l’on considère être aujourd’hui de l’appropriation culturelle. Autrement dit, aucune forme d’appropriation culturelle n’est de nos jours acceptable. Mais…

Mais ce qu’en dit Wikipédia reflète-t-il l’idée du rédacteur de la fiche ou l’idée que l’ensemble des locuteurs francophones s’en font? La question se pose. Et elle se pose d’autant plus que l’on utilise ce terme à toutes les sauces, comme on dit chez-nous pour signifier : à tout propos, de toutes les manières. On pourrait même aller jusqu’à penser que l’on appelle appropriation culturelle tout ce qu’on voudrait voir condamné. On l’utilise sans même s’assurer du caractère offensant de l’emploi incriminé. Il suffit, semble-t-il, qu’une seule personne se sente visée et le fasse savoir pour que l’on crie haro sur le baudet. Nous y reviendrons.

Mais d’abord, tentons de préciser à partir de quand l’appropriation culturelle est devenue disons… « persona non grata ».

Nous avons vu, grâce à Ngram Viewer, que l’utilisation de ce terme a connu un regain de popularité à partir de 2013. Sans que, pour autant, l’on sache si c’est un événement en particulier qui est à l’origine de ce regain ou si ce regain est associé à la  nouvelle acception du terme. Il ne faut jamais oublier qu’étant donné que le terme ne figure pas dans le dictionnaire, il faut, pour savoir ce qu’il peut vouloir dire, se rabattre sur l’emploi qu’on en fait ou la définition qu’on en donne à l’occasion. Tout en gardant à l’esprit, la dérive possible du sens que chaque utilisateur peut, dans de telles circonstances, lui attribuer. Bien involontairement, cela va sans dire. Mais néanmoins réelle.

Au Québec, c’est plutôt en 2018 que le tout a commencé. Et il est même possible de pointer du doigt les événements déclencheurs de cette crise, que l’on dit d’appropriation culturelle.

Que s’est-il donc passé cette année-là?  

« À l’été 2018, deux pièces de Robert Lepage [KANATA et SLAV], ont été annulées coup sur coup après avoir causé un tollé autour de la question de l’appropriation culturelle ».

Voilà! Le mot est lâché. Il y aurait eu appropriation culturelle!

1-KANATA entendait « présenter une relecture de l’histoire du Canada à travers les rapports entre les Blancs et les Autochtones ».

L’absence de comédiens issus des communautés autochtones est alors très mal vue. On crie à « l’appropriation de l’héritage culturel des Premières Nations » (Voir ICI).

Donc quelque chose à ne plus faire, voire (ou voire même) à condamner. Pour pouvoir jouer le rôle d’un autochtone, il faut dorénavant et impérativement en être un. Pas question de recourir à un « Blanc ». Je me demande si l’on ne charrie pas un peu trop, si l’on n’a pas perdu le nord. Ce principe, nouvellement établi, Robert Lepage l’a transgressé.

Une question se pose ici : Robert Lepage a-t-il vraiment fait sienne, s’est-il approprié la culture des Amérindiens en n’engageant pas de comédiens d’origine autochtone? Euh!… S’est-il, ce faisant, montré volontairement irrespectueux envers les autochtones? L’idée me paraît, à première vue du moins, disons… étonnante. Car…

Car si tel est le cas…

–   cela voudrait dire que, dorénavant, pour jouer les rôles de Renato et d’Albin, dans La cage aux folles, il faudra engager des homosexuels déclarés, autrement dit des membres reconnus de la communauté LGBTQ2S+ (Lesbiennes, Gais, Bisexuels, Transgenres, en Questionnement et Bispirituels), à défaut de quoi on sera autorisé à parler d’appropriation culturelle. Autrement dit, il n’est plus question de jouer un homosexuel, il faut en être un?… Est-ce moi qui, cette fois-ci, charrie un peu trop?… Je ne fais pourtant qu’étendre l’application du principe invoqué (10).

Si tel est vraiment le cas…

–  cela voudrait dire que l’opéra de Francis Poulenc, Dialogues des carmélites, ne pourrait plus jamais être présenté sans que l’on crie à l’appropriation culturelle, car jamais de vraies carmélites ne monteront sur scène. On aurait pu le craindre, mais, fort heureusement, pour le plus grand plaisir des amateurs d’opéra, les mères prieures n’ont pas encore crié à l’imposture. Encore moins utilisé les réseaux sociaux! (11)

2-  SLAV, la seconde pièce de Robert Lepage à être annulée en 2018,  est « une incursion dans l’univers des chants d’esclaves ».

L’idée de départ (12) était fort intéressante, mais le tout a déraillé parce que…

Parce que seulement deux des six choristes étaient des Noir(e)s. Un manque flagrant de représentativité, au dire des détracteurs. L’acte d’accusation était tout trouvé : on a osé « utiliser l’héritage culturel de la communauté noire dans un spectacle sur l’esclavage créé par des Blancs pour des Blancs. »

Ce qui devait arriver arriva : le spectacle fut annulé.

Robert Lepage aurait, bien malgré lui, mis le feu aux poudres. Et il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour que bien d’autres s’inspirent de sa prétendue maladresse.

En 2018, l’appropriation culturelle — ou son apparente dérive — venait de faire son apparition dans mon coin de pays. Mais elle avait vu le jour ailleurs…

À SUIVRE…

Maurice Rouleau

(1)  Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on ne parle jamais de *culturelle appropriation[L’astérisque indique une construction non reconnue par l’USAGE.] Sans doute que non, car on nous apprend à utiliser la langue d’une certaine façon, supposément la bonne, mais jamais à la remettre en question, même s’il n’y a rien de mal à le faire.

Ceux qui seraient intéressés à en savoir plus sur l’emploi de l’adjectif et sa place dans une lexie complexe peuvent toujours lire Le CIO ou l’ordre des adjectifs en français (Voir ICI). L’auteur y montre que tous les adjectifs ne sont pas égaux devant l’USAGE.

(2)  Il arrive qu’une lexie complexe (unité lexicale composée de plus d’un élément) fasse l’objet d’une entrée dans le dictionnaire, mais la logique derrière la décision du lexicographe de l’y inclure n’est pas toujours évidente.

Je me demande par exemple pourquoi on trouve en entrée chemin de fer, mais pas voie ferrée; pourquoi on y trouve pomme de terre, mais pas pomme de pin ni pomme d’Adam. Que l’on n’y trouve pas pomme de route, cela s’explique facilement : c’est un québécisme qui s’utilisait pour désigner le crottin de cheval que l’on trouvait sur les voies publiques. Ce que l’on ne trouve plus depuis que le cheval fonctionne à la vapeur (cheval-vapeur).

Qu’est-ce qui vaut à telle lexie, mais pas à telle autre, le droit d’avoir sa propre entrée? Je me le demande.

(3)  Dans La facture des principaux dictionnaires médicaux français : point de vue d’un traducteur (V. https://doi.org/10.7202/004003ar), l’auteur compare la facture de ces dictionnaires de spécialité avec celle des deux principaux dictionnaires de langue générale, Le Petit Robert et Le Petit Larousse. Il y montre, entre autres, que le pourcentage de NOMS qui y sont mis en entrée est de beaucoup supérieur (88 % contre 62 %); que le pourcentage d’ADJECTIFS y est de beaucoup inférieur (9% contre 22 %); que celui des VERBES y est presque nul (0,1 % contre 11 %); que les adverbes, les prépositions, les conjonctions, les pronoms, les interjections brillent par leur absence (dans les dictionnaires de langue, ils totalisent un peu plus de 3,5 % des entrées).

(4)  Dans le Petit Robert, on trouve…

  • chou chinois sous chou (premier élément de la lexie), mais PAS sous chinois;
  • unité lexicale sous lexical (second élément de la lexie) mais PAS sous unité;
  • voie ferréesous voie ET sous ferré (premier et second éléments de la lexie);
  • examen prénuptial sous examen ET sous prénuptial (premier et second éléments de la lexie).

La logique derrière le choix de l’emplacement d’une telle lexie complexe n’est pas évidente. Cette différence de traitement — à première vue aléatoire — rend plutôt ardue la recherche d’une lexie complexe dans ce dictionnaire.

Il arrive à l’occasion qu’une lexie complexe dite hors nomenclature soit définie dans le corps de l’article où le lexicographe l’a inscrite. Mais, sans que l’on sache trop pourquoi, le choix de l’emplacement de sa définition est variable : Livre blanc, sous le substantif; examen prénuptial, sous l’adjectif; chou palmiste sous palmiste, substantif en apposition.

Il arrive aussi qu’aucune définition ne soit fournie [ex. Diabète gras que l’on trouve sous diabète (nom); boucherie chevaline sous chevalin (adjectif); tarif aérien sous tarif (nom)]. Encore là, la logique derrière cette décision n’est pas claire.

(5)   « En qualifiant de livre BLANC un document, le gouvernement révèle ses intentions. Le livre blanc peut accompagner et expliquer un projet de loi, annoncer une mesure administrative ou exposer un programme qui se réalisera dans une série de textes législatifs. Pour le gouvernement, l’affirmation de certains principes et la divulgation de ses intentions n’excluent pas la tenue de consultations sur le livre blanc et sur le projet de loi qui en découlera.

À la différence du livre blanc, le livre VERT est employé lorsqu’aucune position n’est privilégiée ou défendue par le gouvernement. Sur un problème donné, l’exécutif souhaite plutôt lancer la discussion afin qu’une position puisse émerger. Le livre vert est essentiellement un outil de consultation ou un document de travail. » (Source)

(6)  C’est un des moyens reconnus pour différencier un adjectif qualificatif d’un adjectif déterminatif. Pour en savoir plus sur les autres moyens, voir ICI.

S’il est possible de remplacer l’adjectif dans élection présidentielle par d’un président (i.e. une préposition suivie d’un nom, ce que la grammaire appelle groupe prépositionnel), il n’est pas possible d’en faire autant avec l’adjectif dans élection hâtive.

 L’adjectif présidentiel dit la nature de la chose (caractéristique stable, invariable), alors que hâtif est une caractéristique qui ne définit pas la chose : une élection peut aussi bien être tardive, attendue, précipitée, générale, partielle que hâtive (caractéristique variable).

(7)    Le Petit Robert de 1967 définit fjord de la façon suivante : « Golfe s’enfonçant profondément à l’intérieur des terres en Scandinavie et en Écosse ». Si l’on en croit ce dictionnaire, il n’existait de fjords que dans ces pays! J’avais pourtant entendu mon professeur de géographie parler du fjord du Saguenay.

Il a fallu attendre la parution du Nouveau Petit Robert (en 1993) pour que la définition de ce mot colle mieux à la réalité. Fjord est alors plus justement défini : « Ancienne vallée glaciaire envahie par les eaux marines durant la déglaciation, caractéristique des côtes scandinaves et écossaises ».

Vous aurez remarqué l’emploi de l’adjectif caractéristique. Ce dictionnaire reconnait enfin (25 ans plus tard) l’existence de fjords ailleurs qu’en Scandinavie et en Écosse.

(8)  Voici deux exemples de définition du terme appropriation culturelle/cultural appropriation :

  • « Il y a donc appropriation culturelle, lorsqu’un groupe social dominant déterminé utilise ou adopte des habitudes, pièces vestimentaires, objets ou des comportements spécifiques d’une culture infériorisée. » (Source)
  • « In short: Cultural appropriation is when somebody adopts aspects of a culture that’s not their own. »  « A deeper understanding of cultural appropriation refers to a particular power dynamic in which members of a dominant culture take elements from a culture of people who have been systematically oppressed by that dominant group. »  (Source

(9)   Quel emploi faisait-on d’appropriation culturelle au début des années 1960? Tout ou presque pouvait faire l’objet d’une appropriation culturelle. En voici quelques exemples glanés ici et là. On a parlé de l’appropriation culturelle de…

  • l’école par la classe instruite;
  • du Message évangélique par l’homme africain;
  • d’un milieu naturel; d’un sanctuaire;
  • du monument et de son site;
  • du monde, de la science, de l’espace;
  • de la tradition philosophique, du changement technologique, du travail et des techniques.

Chacun utilise ce terme au sens qu’il veut bien lui donner, s’imaginant que son lecteur lui attribuera le même sens et, par conséquent, saisira le message qu’il veut lui transmettre. Ce qui est loin d’être assuré.

(10)  Si aujourd’hui Sarah Bernhardt pouvait revenir du royaume des morts, elle ne pourrait plus, comme elle l’avait fait au tout début du XXe siècle, « incarner » l’Aiglon [« surnom donné au fils de Napoléon Ier, également popularisé par le drame du même nom d’Edmond Rostand (1900) »] sans que l’on crie à l’appropriation culturelle. Elle n’a tout simplement pas les attributs nécessaires pour personnifier un homme!

(11)  Cet opéra a été régulièrement présenté depuis 2018 : à l’Opéra Grand Avignon; en 2019; à l’Opéra Royal de Suède; en 2021, à l’Opéra de Francfort; en 2022, à l’Opernhaus Zurich. Il est au programme de l’Opéra Royal Wallonie-Liège, pour l’année 2023. (Source)

(12)  Voici comment était présentée cette pièce de Robert Lepage :

« SLAV tisse des liens de manière universelle entre différentes pages d’histoire connues et moins connues — ou volontairement oubliées — qui ont mené l’humanité à asservir des peuples.

Abondamment illustré, le spectacle nous transporte des origines antiques de l’esclavage à la traite négrière, de la ségrégation des noirs américains à leur émancipation, puis à l’incarcération massive et l’esclavagisme moderne. Des réalités pour lesquelles notre société porte encore aujourd’hui l’odieux et les cicatrices.

En somme, un spectacle musico-théâtral hautement visuel, un hommage à la musique comme outil de résilience et d’émancipation. »   (Source)

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