Romanisation, translittération, transcription (1 de 2)

 

  Ne pas confondre Pyeongchang et Pyongyang

(1)

 

Je lisais récemment que les Jeux olympiques (J.O.) d’hiver de 2018 ne se tiendront pas, comme prévu, à Pyeongchang (Corée du Sud)!  Comment est-ce possible, me dis-je? Il ne reste que huit mois avant leur tenue! C’est pourtant l’endroit  que le CIO avait choisi, de préférence à Munich (Allemagne) et (à) Annecy (France), pour leur présentation. Où auront-ils lieu alors?… À PyeongChang! C’est le gouverneur de la province de Gangwon qui en a fait l’annonce au cours d’un point de presse destiné aux médias étrangers.

Il n’y a pas lieu de paniquer. Ce changement n’est pas aussi catastrophique qu’on pourrait le penser. En fait, seule la graphie du nom du site a changé. Pyeongchang est devenu PyeongChang. On lui rajoute une majuscule en plein milieu! Cette modification mineure a été apportée pour éviter que les athlètes ne se rendent, par inadvertance, à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord! Le risque d’une telle bévue est apparemment réel, car ces deux noms présentent, dit-on, une dangereuse similarité! Si on le dit…

Le simple ajout d’un C majuscule ferait donc fondre comme neige au soleil la possibilité de confondre Pyeongchang avec Pyongyang! Il est vrai que je ne connais rien au coréen, mais, à lire ces deux noms, transcrits en caractères romains, je ne vois pas comment je pourrais prendre l’un pour l’autre. Graphiquement du moins. Voyez par vous-mêmes :

Pyongyang         →           Pyong    /    yang.

Pyeongchang    →           Pyeong  /    chang.

La différence de graphie me semble suffisamment importante pour qu’aucune confusion ne soit possible. Étant donné que le gouverneur coréen dit qu’il y a un risque réel de confusion, force m’est d’admettre que quelque chose m’échappe. Mais quoi?… Peut-être que si j’étais Coréen la similarité me sauterait aux yeux. J’ai donc voulu savoir…

Savoir comment ces deux noms s’écrivent en coréen (1). Voici ce que j’ai trouvé :

Pyeongchanggun   →       

Pyongyang                  →   평  양

Si je compare ces deux noms, je constate que le premier caractère () est exactement le même, mais pas le second (  vs  ). Quant au troisième (), qui correspond sans doute à la dernière syllabe -gun, il semble faire partie intégrante du nom (2). C’est dire que, pour un Coréen, ces deux noms sont suffisamment différents (du moins en nombre de caractères, 3 vs 2) pour ne pas être confondus. Et le fait que le premier caractère soit le même dans les deux mots ne doit pas, non plus, être très problématique. – Je vois mal, par exemple, un francophone confondre immatériel et immature, même si les 5 premières lettres sont identiques. – La confusion anticipée vient peut-être du fait que les autorités coréennes ont décidé de n’utiliser officiellement, pour désigner le site de ces jeux, que les deux premiers caractères, d’utiliser la forme abrégée Pyeongchang et non la forme longue Pyeongchanggun (2). Qui sait? Autrement dit, ce sont peut-être les Coréens eux-mêmes qui sont à l’origine de cette possible confusion. Confusion qui ne pourrait exister que dans l’esprit d’un Occidental…

Voyons de près ce qu’il en est de cette confusion appréhendée. Graphiquement, nous l’avons vu, ces deux noms utilisés en français peuvent difficilement être confondus. À moins d’être nul en lecture. Mais phonétiquement parlant, qu’en est-il? Je pourrais prendre l’un pour l’autre si et seulement si

  • le second y de Pyongyang et le ch de Pyeongchang se prononçaient de la même façon;
  • le e de Pyeongchang était muet.

Est-ce possible? Je doute fort qu’un francophone se permette une telle liberté. Il prononcera à coup sûr toutes les lettres d’un mot (d’une langue étrangère) écrit en caractères romains, sauf peut-être la lettre E qu’il pourrait considérer muette, comme cela l’est parfois à l’intérieur d’un mot de sa propre langue (p. ex. gaiement, engouement).

Si l’on écrit ces noms en français de manière différente, j’en conclus, peut-être à tort, qu’ils se prononcent différemment. Mais cette conclusion, aussi logique soit-elle, se heurte à un fait indéniable : le premier caractère coréen de chacun de ces noms est exactement le même. Comment expliquer alors qu’en français la première syllabe ne soit pas identique, qu’on ne mette un e qu’à Pyeongchang?…

Voilà donc posé tout le problème de la transposition en français d’une langue qui utilise un système d’écriture différent du nôtre. Je prends le français comme langue de référence, parce que c’est ma langue maternelle. Mais mon argumentation vaut pour toute autre langue qui utilise des caractères romains, comme l’allemand, l’espagnol, l’anglais, le polonais, etc.

ROMANISATION ou latinisation, TRANSLITTÉRATION et TRANSCRIPTION

 À un moment donné de l’histoire, bien avant le 27 juillet 1953 [date à laquelle la Corée a été scindée en deux], on a voulu écrire en français (i.e. en utilisant des caractères romains) des mots écrits en coréen. Par exemple, le nom d’une ville, maintenant située en Corée du Nord ( , ou Pyongyang) ou encore celui d’un district, maintenant situé en Corée du Sud (    , ou Pyeongchang). Je n’irai pas jusqu’à dire que, dans toutes les langues qui utilisent des caractères romains, ces deux noms s’écrivent comme en français. Que non! Je me rappelle trop bien le cas de Sotchi (en russe : Сочи), site des J.O. d’hiver de 2014, dont la graphie a beaucoup fait jaser. Je connais une autre ville dont on a beaucoup parlé et dont on parle encore aujourd’hui, mais dont la graphie du nom n’a jamais fait jaser. Vous l’aurez peut-être deviné, je parle de Чернобыль, qui en français s’écrit Tchernobyl et en anglais Chernobyl.

Avant d’aller plus loin, il serait bon de définir les termes généralement utilisés quand on parle de transposition en français d’une langue utilisant un système d’écriture différent du nôtre. Ces termes, qu’il ne faut pas confondre, sont romanisation ou latinisation, translittération et transcription.

Romanisation

 Il faut savoir que les adjectifs romain et latin sont parfois utilisés indifféremment. Par exemple, on appelle écriture romaine (ou latine), celle qui s’oppose à d’autres écritures alphabétiques, comme le cyrillique, l’arabe, le grec…  Voyez par exemple l’usage, indifférent, que le Petit Robert fait de ces deux adjectifs :

  • Romanisation : Transcription en caractères latins d’une langue écrite différemment. La romanisation du vietnamien.
  • Romaniser :  4.  V. tr. (1870) Mettre en caractères romains, transcrire en écriture romaine. Romaniser un texte turc ancien. Le vietnamien a été romanisé.

Dire que Pyongyang est la forme romanisée de et PyongChang-gun  celle de , c’est dire que ces noms sont écrits en caractères romains. Rien de plus. Cela ne révèle rien de précis sur le processus qui a mené à ces formes.

Si, pour qualifier les termes écriture ou encore caractère, on peut utiliser indifféremment romain et latin, peut-on en faire autant avec les substantifs correspondants, romanisation et latinisation? À première vue, rien ne semble s’y opposer. Mais à lire attentivement les définitions qu’en donnent les dictionnaires courants– en supposant qu’elles soient exactes (3) –, j’ai de la difficulté à les considérer comme désignant une même réalité. Autrement dit, ces deux termes ne me semblent pas synonymes. Pour éviter toute confusion, je ne vais utiliser que romanisation.

Translittération

Comme la composition de ce mot le laisse clairement entendre, il sera question de lettre, mot qui vient du latin littera « signe graphique ».

Le terme translittération désigne toute « Opération qui consiste à transcrire, lettre à lettre, chaque graphème d’un système d’écriture [différent du nôtre] correspondant à un graphème d’un autre système [à savoir, le nôtre], sans qu’on se préoccupe de la prononciation. » (Larousse en ligne dixit.)

Si, par exemple, je translittère du russe ou du grec en français, je substitue à chaque caractère de la langue d’origine (russe ou grecque) un caractère romain qui appartient à la langue cible, celle dans laquelle le mot étranger est translittéré (ici, le français). Et ce, il est important de le noter, indépendamment de sa prononciation.

Pour bien illustrer ce qu’est la translittération, je vais utiliser le nom d’un homme d’État russe, que beaucoup d’entre vous connaissent. Son nom est associé à l’apparition dans les dictionnaires, au début des années 1990, des termes glasnost et perestroïka et, surtout, à la chute du mur de Berlin. Je parle évidemment de Михаил Сергеевич Горбачёв (1931-…).

Le nom de famille Горбачёв, qui en russe se prononce Gorbatchiov ( →  Écouter )   devient Gorbačëv après translittération, conformément à la norme ISO 9 (4). Gorbačëv est donc la forme translittérée de Горбачёв. Vous noterez que le caractère cyrillique ч se translittère č, ce qui n’éclaire aucunement le francophone sur la prononciation de ce nom. Si ce système fait appel à des signes diacritiques, inhabituels, c’est qu’il y a plus de lettres en russe qu’en français et qu’on voulait qu’à chaque caractère cyrillique corresponde un seul et unique caractère romain. Et arbitrairement, on a choisi un c coiffé d’un signe diacritique inconnu dans notre langue [appelé caron, en français; et breve, en anglais], pour rendre le caractère cyrillique ч. Il en est de même pour le ë, qui n’est pas, comme cela est toujours le cas en français, précédée d’une voyelle. Sa prononciation n’a donc, elle non plus, rien à voir avec celle du ë français. Ce qui démontre bel et bien que la translittération n’a rien de phonétique.

 Transcription

La question qui se pose maintenant est de savoir comment prononcer en français la forme translittérée Gorbačëv. C’est ici qu’intervient la transcription.

On entend par transcription l’opération qui consiste à substituer, à chaque phonème [ou son d’une langue], un graphème [ou lettre] ou un groupe de graphèmes d’une langue appartenant à un autre système d’écriture. Le résultat dépendra donc de chacune des langues cibles, car un phonème peut correspondre à différents graphèmes dépendamment de (ailleurs on dira : selon) la langue considérée. En clair, cela signifie que le caractère ч, qui en russe se prononce –tché– sera rendu, ou transcrit, selon la langue cible, par une lettre ou groupe de lettres, qui se veut une transcription phonétique approximative de la prononciation russe de ce caractère (5). Autrement dit, chaque langue cible va chercher dans son propre système phonétique ce qui se rapproche le plus de la prononciation du caractère cyrillique. Contrairement à la translittération, la transcription, elle, est basée sur la prononciation. Ainsi…

Михаил Сергеевич Горбачёв (1931-…),  qui en russe se prononce Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchiov (  Écouter ), s’écrira donc différemment selon la langue cible. En français, c’est Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev; en anglais, c’est Mikhail Sergeyevich Gorbachev; en espagnol, Mijaíl Serguéyevich Gorbachov; en allemand, Michail Sergejewitsch Gorbatschow, etc. Ces graphies se veulent, dans chacune de ces langues cibles, une transcription phonétique approximative de la prononciation russe du nom de cet homme, comme nous allons le voir.

Vous aurez remarqué que le V final de Gorbatchiov se rend en allemand par un W. La raison en est que, dans cette langue, le W se prononce V et le V se prononce F (6). Si vous écoutez un Allemand dire Volskwagen, vous devriez entendre « folksvagen ».  D’où la présence du W dans Gorbatschow.   

Vous aurez également remarqué que le T dans Gorbatchiov est absent des graphies anglaise (Gorbachev) et espagnole (Gorbachov). Cela s’explique par le fait que, dans ces langues, le son tche, présent dans Gorbatchiov, se rend par -che, ce qui n’est pas le cas en français, d’où la présence dans cette langue d’un t (Gorbatchev). En allemand, ce même son se rend graphiquement par –tsche, d’où Gorbatschow. Autrement dit, la prononciation de ce nom dans ces langues est, malgré des graphies différentes, approximativement la même. Preuve que la transcription est, contrairement à la translittération, basée sur la prononciation.

Vous aurez sans doute également remarqué que la dernière voyelle de Gorbatchiov devient après transcription tantôt un e tantôt un o. Pourquoi donc, direz-vous? Tout simplement parce qu’en russe la voyelle e se prononce différemment selon qu’elle porte ou non un tréma (Voir la norme ISO-9). Sans tréma, elle se prononce « ie » et avec tréma « io ». Mais comme beaucoup de Russes laissent tomber le tréma présent sur le e de Горбачёв, ce nom qui, ainsi écrit, se prononcerait Gorbatchiov, sera prononcé Gorbatchiev, puisqu’il n’est pas coiffé de son signe diacritique. Simple, n’est-ce pas? Mais encore faut-il le savoir! C’est en lisant une note publiée par le Russian National Tourist Office que, moi, je l’ai appris.

Revenons donc à nos moutons.

Vous vous demandez sans doute pourquoi j’ai utilisé un nom russe pour expliquer en quoi consistent la romanisation, la translittération et la transcription, alors que le problème a été soulevé par la transcription de noms coréens?  La question est fort pertinente. Et la réponse, fort simple : il n’existe pas de norme ISO portant sur la translittération des caractères coréens en caractères latins (ou romains). Il n’y a eu qu’un Rapport technique de type 2 qui se voulait, au moment de sa rédaction, en 1996, une « norme prospective d’application provisoire », mais qui, depuis lors, a été annulée.

Autrement dit, on peut parler de romanisation du coréen, mais pas de translittération. C’est la raison pour laquelle je ne suis rabattu sur un exemple en russe.

Que sont donc les formes PyeonChang et Pyongyang?

Si les formes romanisées PyeonChang et Pyongyang ne sont pas des formes translittérées, elles ne peuvent être que des formes transcrites.

D’ailleurs, sur la Toile, il est effectivement dit que la romanisation du coréen fait appel à deux systèmes de transcription phonétique : la romanisation McCune-Reischauer   et la romanisation révisée.  On y apprend également que la romanisation McCune-Reischauer est le plus ancien système de transcription du coréen; il date de 1937. Ce système a depuis lors subi  bien des modifications, qui ont donné naissance à autant de variantes. En Corée du Nord, on utilise aujourd’hui une variante, dans laquelle les apostrophes et les diacritiques sont disparus. En Corée du Sud, une autre variante a été utilisée à partir de 1984 jusqu’en 2000, année au cours de laquelle cette variante a été remplacée par une autre, appelée romanisation révisée. [Pour en savoir plus sur les variantes officielles, voir  ICI.]

Que signifie réellement transcription phonétique quand on parle de la romanisation McCune-Reischauaer ou encore de la romanisation révisée? Là , le problème se complique. Se peut-il que transcription phonétique ne désigne pas toujours la même réalité?…

C’est ce que nous verrons dans un prochain billet.

À SUIVRE

Maurice Rouleau

 (1) L’alphabet coréen est le même dans toute la Corée. Seule change son appellation. En Corée du Sud, on l’appelle le hangeul ; en Corée du Nord, le chosongeul.

 (2)  En voici deux exemples :

  • 1- « Le district de Pyeongchang (Pyeongchang-gun, 평 창 군) est un arrondissement de la province de Gangwon, à 180 km à l´est de Séoul, en Corée du Sud. » (Voir ICI.) ;
  • 2- Pyeongchang-gun Travel Forum (Voir ICI.)

 (3) Ce n’est pas parce que le dictionnaire dit quelque chose que c’est « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». Je me suis déjà intéressé à ce problème et ai publié le résultat de mes recherches dans deux articles, intitulés Mon rapport au dictionnaire (partie 1) et (partie 2).

 (4) L’Organisation internationale de normalisation, en anglais International Organization for Standardization (l’abréviation  officielle, ISO, a été choisie pour ne pas être associée à une langue en particulier, exemple type de normalisation) est responsable de près de 20 000 normes. Celle qui fournit la table de correspondance officielle entre caractères cyrilliques et caractères latins (1995) est la norme ISO 9. Ceux que la translittération des caractères arabes en caractères latins intéresse peuvent consulter la norme ISO 233; pour ce qui est de la translittération des caractères grecs en caractères latins (1997), c’est la norme ISO 843.

(5) Rappelez-vous les derniers J.O. d’hiver, ceux de 2014.  Ils ont eu lieu  en Russie, au bord de la mer Noire, dans une ville dont le nom russe est СОЧИ. La transcription de ce nom n’est pas la même dans toutes les langues utilisant des caractères romains. Par exemple, en français, ce nom s’écrit Sotchi, mais en anglais et en espagnol, c’est Sochi.

(6)  Le V allemand ne se prononce pas comme en français. À preuve, le mot allemand leitmotiv, naturalisé dans notre langue sous la même graphie, peut se prononcer de deux façons : [lɛtmɔtiv], si l’on respecte la prononciation française de la consonne finale; ou [lajtmɔtif], si l’on respecte sa prononciation allemande.

Le Larousse en ligne va plus loin. À côté de leitmotivs (pluriel français classique, construit par ajout d’un S), il présente le pluriel allemand leitmotive [sans la majuscule initiale que tous les substantifs prennent normalement dans cette langue]. Ce pluriel ne peut évidemment être utilisé que par ceux qui connaissent l’allemand. Ce qui est rarement le cas de ce côté-ci de l’Atlantique. Et il semblerait même que ce pluriel allemand soit plus fréquemment utilisé que le pluriel français. À mon grand étonnement! Du moins, si l’on en croit l’engin de recherche Ngram Viewer (Voir ICI).

 

P-S. — Si vous désirez être informé par courriel de la publication de mon prochain billet, vous  abonner est la solution idéale.

WordPress vient apparemment de simplifier cette opération. Dans le coin inférieur droit de la page d’accès à ce billet, vous devriez noter la présence de « + SUIVRE ». En cliquant sur ce mot, une fenêtre où vous devez inscrire votre adresse courriel apparaîtra. Il ne vous reste plus alors qu’à cliquer sur « Informez-moi ». 

Cet article a été publié dans Uncategorized. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

3 commentaires pour Romanisation, translittération, transcription (1 de 2)

  1. schtroumpf grognon dit :

    Il y a confusion entre le macron, accent horizontal (ex: Tōkyō), et le caron, accent circonflexe à l’envers (č).

  2. Toujours aussi pertinent et bien documenté !
    Bravo !

Laisser un commentaire