Prononciation vs Orthographe (2)

 

 Est-ce une faute d’orthographe?

Est-ce la faute de l’orthographe?

(2)

 

Je poursuis donc mon étude sur l’écart ou, si vous préférez, la discordance que l’on observe souvent entre la prononciation d’un mot et son orthographe. N’allez pas croire que j’utilise l’adverbe souvent à la légère. Mon choix est justifié : Léon Warnant, phonéticien belge, a publié en 1996 un ouvrage de 238 pages intitulé Orthographe et prononciation. Les 12 000 mots qui ne se prononcent pas comme ils s’écrivent. Un tel nombre devrait convaincre, du moins je l’espère, le plus sceptique des sceptiques.

Dans un premier temps, je me suis penché sur sculteur et zingué. Cette fois-ci, je m’intéresse aux deux derniers noms dont il a été question dans le précédent billet, à savoir magnat et baîllon.

3- Magnat / Ma-gnat

À l’aune de mes habitudes langagières, prononcer magnat [magna], comme l’a fait le lecteur de nouvelles, c’est mal le prononcer. Moi, j’ai toujours dit ma-gnat [maɲa]. Serait-ce donc un autre mot que je prononce mal depuis ma tendre enfance?… Pour le savoir, je consulte mon Petit Robert 2017. Ô soulagement! J’y trouve :

magnat [magna; maɲa] nom masculin

Ma prononciation [maɲa] n’est donc pas fautive. Mais celle du lecteur de nouvelles [magna] ne l’est pas non plus! Contrairement à ce que je croyais.

Il y aurait donc deux façons admises de prononcer ce mot ou deux variantes phonétiques.

Cette double réalité m’étonne au point que bien des questions me viennent aussitôt à l’esprit.

  • En a-t-il toujours été ainsi?
  • Si non, laquelle des deux variantes est apparue en premier?
  • Quand la deuxième s’est-elle pointée dans le décor?
  • L’apparition de cette deuxième variante répondait-elle à un besoin réel?
  • Chez qui ce besoin s’est-il fait sentir?
  • L’ordre de présentation de ces deux variantes est-il significatif?
  • Ces deux variantes sont-elles aussi courantes l’une que l’autre?
  • Où ces variantes phonétiques se font-elles entendre de nos jours?

Les réponses à ces questions devraient m’aider à mieux cerner l’USAGE, dont le Petit Robert est censé faire état.

–   Si j’applique à ces variantes, les principes directeurs adoptés par le Petit Robert pour ce qui est des mots en entrée double (1) (i.e. qui peuvent s’écrire de deux façons), cela signifierait que les deux prononciations indiquées sont courantes, mais que le lexicographe — et non l’usage — privilégie la première! Mais est-ce bien le cas? Je ne peux que le supposer, car nulle part cela n’est précisé.

–   Où ces variantes phonétiques se font-elles entendre? Dans toute la francophonie ou en certains endroits seulement? Les pages liminaires, celles que personne  ne lit, viennent une fois de plus à mon secours. Du moins, en partie. Il y est dit :

« Dans le cas de réalisations phonétiques multiples (ce qui est bien le cas de magnat), nous avons choisi de noter une seule des variantes possibles (pas dans le cas de magnat), de préférence la plus conforme à la prononciation récente des locuteurs urbains éduqués d’Île-de-France et de régions voisines (dont je ne fais pas partie), en espérant ne pas trop choquer les utilisateurs d’usages plus anciens, ruraux ou de régions où subsistent soit un bilinguisme (je ne suis pas choqué, seulement surpris), soit l’influence d’une autre langue ou de dialectes (par ex. Occitanie, Bretagne, Alsace…). » p. XXI

Dois-je comprendre que, dans la région en question, qui représente environ 3-4 % de la superficie de la France métropolitaine, il y aurait deux variantes phonétiques aussi courantes l’une que l’autre?…  Qu’en est-il dans le reste du pays? Si je pose la question c’est qu’il y a de « Ces mots qui ne se prononcent pas de la même façon d’un bout à l’autre de la France ».  À plus forte raison, au Québec.

Je poursuis tout de même cette étude, car bien des questions restent sans réponse. Et je veux contenter ma curiosité.

–   Ces deux prononciations, officiellement admises par le Petit Robert 2017, ont-elles toujours existé?

Dans le premier Petit Robert, paru en 1967, la seule prononciation alors admise « officiellement » est [maɲa]. Celle que je pratique. Du même coup, j’en déduis que la prononciation magnat est apparue par après, comme on dit chez-nous . Mais quand exactement? Réponse : en 1993.

Que s’est-il donc passé cette année-là? À l’occasion du 25e anniversaire de parution du Petit Robert, la maison Robert a décidé de « reprendre la description [de la langue] par le menu ». Ce n’est pas peu dire. Et qui dit langue dit non seulement orthographe, mais aussi prononciation. C’est la raison pour laquelle cette édition et les suivantes ont porté le nom de Nouveau Petit Robert.

Dans les pages liminaires de cette édition, on y apprend que :

« Le Nouveau Petit Robert a fait l’objet d’une révision intégrale de la phonétique. Une comparaison avec le Petit Robert de 1967 et le Grand Robert permet d’évaluer le chemin parcouru tant sur le plan de l’évolution de la prononciation que sur celui des principes théoriques qui ont guidé notre travail. » p. XIX

Il y est également dit :

« On peut remarquer aussi qu’avec le temps, la prononciation traditionnelle et irrégulière de certains mots (dompteur, magnat, arguer, homuncule, etc.) est plus ou moins abandonnée au profit de la règle générale (comme dans somptueux, magnifique, narguer, homoncule); […]  Mais on oublie souvent que chaque moment s’inscrit dans une évolution globale de la prononciation dont les causes sont difficiles à démêler. Or les 26 années entre 1967 et 1993 constituent déjà une période historique où les évolutions phonétiques sont sensibles […] La comparaison des notations phonétiques de 1967 et de 1993 dans le Petit Robert est très instructive à cet égard. » p. XVI

Tout est clair maintenant! La langue aurait beaucoup changé depuis 1967! Il ne nous reste plus qu’à le croire. Comme par hasard — le hasard fait parfois bien les choses —, on fait référence, dans cet extrait, au mot qui me cause problème, à savoir magnat. Je ne pouvais espérer mieux.

La prononciation traditionnelle de magnat serait donc irrégulière. Soit. Mais quelle en est donc la prononciation traditionnelle? La réponse ne peut, selon moi, qu’être [maɲa], car c’est celle que le Petit Robert reprend d’une édition à l’autre depuis 1967. Donc ma prononciation, qui est traditionnelle mais irrégulière, a été, nous dit-on, plus ou moins abandonnée. La prononciation de ce mot suit dorénavant la règle générale! Ah bon!… Cette règle n’est pas énoncée, mais, fort heureusement, on en donne quelques exemples d’application, dont magnat. Ce mot se prononcerait de plus en plus comme magnifique [maɲifik]. Euh!… Mais magnat se prononçait déjà [maɲa] depuis 1967! Où est donc le changement annoncé? Je le cherche, mais en vain. La prononciation traditionnelle dont il est question doit donc se trouver ailleurs que dans le Petit Robert. Mais où? Serait-ce dans le Grand Robert? Voyons voir.

Dans le volume 4 de la première édition du Grand Robert, paru en 1959 (le dernier volume paraîtra en 1966), il est écrit :

MAGNAT  (magh’-na ou, plus souventma-gna) (2)

J’en conclus qu’à l’aube des années 1960, les deux prononciations sont courantes, mais que celle qui est le plus souvent rencontrée est [ma-gna]. Et aussi que sa prononciation traditionnelle devrait être [magh’-na]. Ce que, de fait, me confirment les dernières éditions du DAF (3). La nouvelle prononciation, [ma-gna], aurait donc, selon cette source, fait son apparition entre 1935 et 1959. (4)

Mais, en 1967, les lexicographes qui travaillent à la publication du premier Petit Robert jugent que la prononciation traditionnelle a définitivement cédé sa place. Ils ne consignent plus qu’une seule prononciation : [ma-gna] ou, selon l’API (alphabet phonétique international),[maɲa].

Comment expliquer qu’en 1993, dans le premier Nouveau Petit Robert, la prononciation, traditionnelle mais abandonnée depuis un quart de siècle, renaisse de ses cendres? Mystère et boule de gomme. À moins que…

À moins que les utilisateurs aient eu des remords… Des remords de ne pas rendre à César ce qui appartient à César. Ou pour faire chic! Je m’explique.

Déjà, en 1967, le Petit Robert donnait à magnat (mot polonais, de descendance latine) deux acceptions :

1° Titre donné autrefois […];

2° (1895; angl. magnate). Puissant capitaliste. Les magnats de l’industrie, de la finance. Ce financier est un magnat du pétrole.

Étant donné que, de nos jours, ce terme n’est plus utilisé qu’au sens 2°, on le prononce peut-être à l’anglaise pour bien marquer son origine (5) ou pour se démarquer, pour faire chic. Qui sait? Ce qu’on n’a pas senti le besoin de faire pour magnanime [maɲanim], qui pourtant dérive, tout comme magnat, du même ancêtre, à savoir du latin magnus « grand ». Une autre particularité, parmi tant d’autres! Mais passons!

Bref, je vais continuer à prononcer [maɲa] et cesser de croire que je le prononce mal. Et aussi cesser de penser que ceux qui disent [mag-nat] ne le prononcent pas bien.

Mais le cas de magnat, avec sa double transcription phonétique du digramme –gn-, est-il un cas isolé?

Non. Parmi les 648 mots, consignés dans le Petit Robert, qui contiennent le groupe –gn-, on en trouve quelques autres. Mais, règle générale, le digramme –gn– forme un couple inséparable, i.e. sa prononciation « officielle » est [ɲ], comme dans li-gne. Mais quels sont ces mots qui font exception, ceux où le g et le n doivent tous deux se faire entendre? Répondre à cette question est aussi embêtant, selon moi, que de déterminer le genre d’un mot.

Vous aimeriez tester vos connaissances?… Je vous en offre l’occasion. Quelle serait selon vous la « bonne » prononciation des 15 mots suivants, par « bonne » j’entends celle que donne le Petit Robert?

  1. Agnathe : qui n’a pas de mâchoire
  2. Agnostique : qui ne croit que ce qui peut être démontré
  3. Cognitif : qui concerne la connaissance
  4. Diagnostic : détermination d’une maladie d’après ses symptômes…
  5. Gneiss : roche métamorphique à grain grossier où alternent…
  6. Gnocchi : boulette à base de semoule de blé…
  7. Igné : qui est produit par l’action du feu
  8. Ignominie : déshonneur extrême causé par…
  9. Magnanime : qui est enclin au pardon…
  10. Pharmacognosie : étude des médicaments d’origine animale et végétale
  11. Prognathe : qui a les maxillaires proéminents
  12. Pugnace : qui aime le combat, la polémique
  13. Recognition : Acte de l’esprit qui reconnaît (une chose) en identifiant
  14. Sphaigne : mousse à l’origine de la formation de la tourbe
  15. Wagnérien : qui concerne Wagner et sa musique

Il y en a qui, sans doute, font partie de votre vocabulaire actif. Je pense, entre autres, à diagnostic, gnocci, sphaigne. Vous les prononcez d’une façon qui, selon vous, ne peut qu’être « bonne ». Même si vous ne savez pas si elle est « officiellement » consignée dans le Petit Robert.

Il y en a d’autres qui, fort probablement, font partie de votre vocabulaire passif. Par exemple : agnostique, cognitif, ignominie, wagnérien. Là, votre prononciation est peut-être moins assurée, puisque ce sont des mots que vous n’utilisez pas à l’oral, mais que vous comprenez.

Enfin, il y en a d’autres qui vous sont totalement inconnus. Agnathe, gneiss, pharmacognosie, prognathe en font partie, j’en suis presque sûr. Pour une raison fort simple, ce sont des termes de langue de spécialité et non de langue générale.

Comment doivent donc se prononcer ces 15 mots?

Exception faite dans gnocchi [ɲɔki], ignominie [iɲɔmini], magnanime [maɲanim] et sphaigne [sfɛɲ], les lettres g et n se prononcent séparément. Selon le Petit Robert, il faut dire ag-nostique, cog-nitif, ig-né, pug-nace, stag-ner. Ce que j’ignorais jusqu’à présent. Mais pourquoi en est-il ainsi?…

Certains pourraient vouloir faire appel à leur étymologie. Par exemple, agnathe doit se prononcer ag-nathe, parce qu’il est formé du préfixe privatif a- et du mot grec gnathos (γνάθος) dont les deux premières lettres se prononceraient séparément! Explication très peu utile pour qui ne connaît rien du grec. Ou pour qui ne connaît du grec que la langue ancienne qu’il a étudiée dans sa jeunesse et dont la « bonne » prononciation était celle de son professeur! On ne peut même pas se rabattre sur la prononciation du grec moderne, car cette langue a, elle aussi, subi des modifications avec les années. La prononciation de γν a peut-être, elle aussi, changée. Alors, me revoilà à la case départ.

L’étymologie peut aussi être invoquée dans le cas de prognate qui est formé du préfixe pro– et, lui aussi, de gnathos; de diagnostic, composé de dia– et de gnôsis (γνώσις), bien que, dans ce cas-ci, il y ait une exception qui ne cause de problème à personne, à savoir pronostic (6). Soit. Mais cette explication étymologique n’est pas la solution miracle. Elle ne répond pas à tous les besoins. Pourquoi la seule « bonne » prononciation de cognitif est-elle [cog-nitif] alors que, dans le cas de recognition, les deux sont admises, à savoir [recog-nition] et [reco-gnition]? La même remarque s’applique aux mots composés de igni– (ignifuge, ignition, ignifuger…) dont la seule prononciation admise, de 1967 à 1992, était [ig-ni], mais qui, depuis 1993, est soit [ig-ni], soit [i-gni]. Serait-ce encore la faute de l’anglais? J’en douterais.

 4- Bâillon / baîllon

À regarder ce mot sans accent, le rédacteur de manchettes a tout de suite vu qu’il lui manquait quelque chose. Ce quelque chose ne peut être qu’un accent. Même s’il ne sait pas pourquoi il doit lui en mettre un. Peu lui importe en fait que cet accent ait une fonction graphique, phonétique, diacritique ou encore analogique (7). Tout ce qu’il doit faire, c’est l’écrire correctement. Soit. Mais…

Mais quel accent faut-il lui mettre?… Ce ne peut pas être un accent aigu, car il ne se met que sur un e, et ce mot n’en contient pas. Ni un accent grave, car le i n’en est jamais coiffé et le a n’en porte un que s’il fait fonction de préposition. Ce ne peut donc être qu’un accent circonflexe.

Le rédacteur sait, j’en suis sûr, qu’un tel accent ne se met que sur une voyelle, quelle qu’elle soit. Des mots comme âme, être, île, côte, coût lui sont trop familiers pour qu’il prétende le contraire. Mais sur quelle voyelle de ce mot?… Certainement pas sur le o, car aucun mot du dictionnaire ne se termine par –ôn. Il ne reste plus qu’à choisir entre le a et le i.

Le rédacteur a choisi le i.  L’y a -t-il mis sans hésitation?… S’il a hésité, qu’est-ce qui a bien pu l’amener à choisir le i plutôt que le a? Il a peut-être fait comme moi je fais dans pareille situation : je couche sur papier les différentes formes qui me viennent à l’esprit, puis j’évalue à l’œil celle qui me paraît la plus « normale ». Je ne saurais dire toutefois ce qu’a effectivement fait le rédacteur de la manchette, mais, chose certaine, il ne se doute pas qu’il a fait une « faute ». Par faute, j’entends un écart à la « norme ».

Selon lui, il serait plus « normal » ou plus habituel de voir -aî-  que -âi-. D’où certainement la graphie qu’il a choisie. Si l’on y pense le moindrement, il n’a pas tout à fait tort. Combien de mots s’écrivant avec -âi- pourriez-vous citer, exception faite de bâillon et de ses dérivés?… Aucun ne vous vient à l’esprit?… Ne vous en formalisez pas. Vous êtes tout à fait justifié de rester muet. Car il n’y en a aucun. Les seuls mots ainsi écrits que le Petit Robert a inclus dans sa nomenclature sont tous des dérivés de bâillon.

Si, par contre, je vous demande de me citer des mots s’écrivant avec -aî-, vous n’hésiteriez pas un seul instant. Vous auriez l’embarras du choix : , appartre, chnon, conntre, défrchi, entrneur, fte, mtrise, marcher, ptre, trneau. Et combien bien d’autres! En fait, le Petit Robert en énumère 109.

Si le rédacteur a fait une « faute » en écrivant ce mot, c’est la faute de l’orthographe et non une faute d’orthographe. Pourquoi aurait-il mis cet accent sur le a, quand il le voit couramment pour ne pas dire presque uniquement, sur le i? Le rédacteur n’avait aucune raison de penser qu’il pouvait en être autrement.

D’ailleurs, je ne suis toujours pas capable de justifier la « bonne » graphie, celle qui veut que l’accent aille sur le a. Ni même pourquoi il me faut lui mettre un. Alors faire une « faute » en l’écrivant est à la portée de tous. Sauf de ceux qui ont une excellente mémoire.

À ceux qui ignoraient comment l’écrire correctement, je conseillerais de ne pas culpabiliser pour si peu. André Goosse, dans son Bon Usage (14e éd., 2007, art. 104 a), vient à votre secours. Il dit, à propos de l’emploi de l’accent circonflexe :

« C’est une des grosses difficultés de l’orthographe française, parce qu’il a surtout une justification historique, d’ailleurs complexe et capricieuse ».

Bien avant lui, Maurice Grevisse, dans son Bon Usage (11e éd., 1980, art. 95), y allait de façon un peu plus directe :

 « On remarquera l’inconséquence de l’orthographe, qui met le circonflexe sur certains mots ayant subi la suppression d’une lettre, et ne le met pas sur d’autres qui ont subi une suppression identique […] Même inconséquence dans l’emploi du circonflexe indiquant une syllabe longue (en latin ou en grec) […] »

Dit en  termes clairs : il n’y a rien à comprendre. Tout doit être mémorisé.

Bref, dans les 4 cas étudiés, la relation qu’il y a, ou qu’il devrait y avoir, entre la prononciation du mot et son orthographe n’est pas celle que l’on attendrait normalement. L’orthographe d’un mot n’est plus, dans tous les cas, la matérialisation fidèle de sa prononciation. Et comment justifie-t-on cet écart à la « norme »?… En disant qu’il ne faut surtout pas écrire au son!…

Comme si l’orthographe s’était affranchie à jamais de la prononciation, qui pourtant lui a donné naissance!

Maurice Rouleau

(1)   « Ces variantes ont une importance plus ou moins grande par rapport au mot de référence. L’estimation de cette importance est exprimée dans le Petit Robert par la manière de présenter la variante, ou les variantes. Si deux formes sont courantes, elles figurent à la nomenclature en entrée double : ASSENER ou ASSÉNER; dans cette présentation, le lexicographe favorise la première forme ». p. XII

Mais qui se cache sous le terme « lexicographe »? L’utilise-t-on comme générique pour désigner l’équipe éditoriale ou comme spécifique pour désigner, sans le nommer, celui qui a rédigé l’article en question? Je ne saurais dire.

(2)  Dans la deuxième édition du Grand Robert © 1990, on y lit :

MAGNAT  [magna], fam.  [maɲa].

La marque d’usage « plus souvent » que l’on voyait dans la première édition est devenue fam. Qu’est-ce que le lecteur doit comprendre d’un tel changement? Voici le sens qu’attribuent les lexicographes de la maison Robert à cette marque d’usage :

fam. ……..  familier qualifie un mot ou un sens appartenant à l’usage parlé ou écrit de la langue quotidienne, mais qui ne s’emploierait pas dans les circonstances solennelles.

En termes clairs, cela signifie que, si vous vous devez de bien « perler », vous direz [mag-nat], mais que, dans la vie de tous les jours, vous pouvez vous laisser aller, laisser vos manières au vestiaire et dire [maɲa]!

(3)  Voici comment, selon les Académiciens, ce mot se prononce :

  • 7e édition (1878)        MAGNAT.   (On prononce le G dur.)
  • 8e édition (1935)        MAGNAT    (gn ne se mouille pas.)
  • 9e édition (1985…)     MAGNAT    (g et n peuvent se faire entendre séparément)

(4)  Si l’on se fie au Larousse, ce changement serait plus récent. En effet, dans le Nouveau Larousse universel, paru en 1949, magnat se prononce toujours [magh-na]. Le changement se serait plutôt, selon cette source, produit entre 1949 et 1959.

(5)  Le Merriam-Webster précise la prononciation de chaque mot de sa nomenclature en séparant chaque syllabe par un point. On trouve donc mag·​nate, mag·​nan·​i·​mous, mag·​ni·​fymag·​ni·​tude…

 (6)   Ceux qui connaissent un peu de grec, et eux seuls, pourraient se demander pourquoi pronostic s’écrit ainsi. Ne devrait-il pas plutôt s’écrire prognostic, étant donné que ce mot pourrait être  formé du préfixe pro- et de gnôsis (γνώσις) qui veut dire « connaissance »? Si tel est bien le cas — ce qui ne saute pas aux yeux —, qu’est-il advenu de son g? L’a-t-on réellement fait sauter? Si oui, pourquoi n’en aurait-on pas fait autant avec celui de diagnostic? Euh!… Voyons d’abord si les étymologistes en herbe ont raison.

Dans le Dictionaire critique de la langue française [1787], de Jean-François Féraud, il est dit à l’entrée pronostic :

« On écrivait autrefois prognostic. Dans […], on lit pronostique: dans […], tantôt  pronostique, tantôt prognostic: mais le g ne se prononçant pas et le c final se prononçant légèrement, pronostic est le plus conforme à la raison, et il l’ est aussi davantage à l’usage actuel. »

Pourquoi pronostic serait-il « plus conforme à la raison » que diagnostic? Ces deux mots ne diffèrent pourtant que par leur préfixe. Pourquoi les usagers ont-ils fait sauter le g dans prognostic mais pas dans diagnostic? Cela n’aurait-il pas été également plus conforme à la raison? Oui, mais…

 (7)   L’accent circonflexe pourrait avoir une fonction graphique. Il servirait alors à signaler la disparition d’une lettre (ex. le s de forest → forêt ; le a de aage → âge; le e de cruementcrûment). Difficile à concevoir dans le cas de bâiller, étant donné l’origine qu’on lui attribue, à savoir  le verbe latin bataculare.

Cet accent pourrait avoir une fonction phonétique. Il servirait alors à modifier le son de la lettre accentuée (ex. : amer [amɛʀ] et âme [ɑm]). Ce qui peut difficilement être le cas de bâiller, car le trigramme -ail- (groupe fonctionnel de trois lettres) se prononce déjà « officiellement » de deux façons différentes! Par exemple, dans bataille [batɑj] ou dans boustifaille [bustifɑj], le ɑ se prononce, selon le Petit Robert, comme dans âme, alors que, dans ail [aj], ravitailler [ʀavitaje] ou encore ailleurs [ajœʀ], le a se prononce comme dans amer.

Cet accent pourrait aussi avoir une fonction diacritique. Il permettrait alors de distinguer un mot de son sosie, d’éviter qu’on les confonde à l’écrit même s’ils se prononcent de la même façon (ex. sur / sûr, mur / mûr). Ce pourrait être le cas étant donné que la prononciation de bâiller est la même que celle de bailler. Mais ce n’est pas vraiment le cas, car le Petit Robert donne de ces deux mots des transcriptions phonétiques différentes!

Cet accent pourrait avoir une fonction analogique. Ce qui signifie qu’un mot prendrait  un accent circonflexe parce qu’un autre, sans lien de parenté, en prend un. Voûte en prendrait un parce que, nous dit Le Bon Usage (11e éd., 1980, art. 95), coûte en prend un! Traître en prendrait aussi un parce que maître en prend un! Voilà un argument qui n’est pas très convaincant, vous en conviendrez. Il fait plus la preuve que la langue est soumise aux caprices des régents. Si tel n’est pas le cas, pourquoi n’ont-ils pas condamné ces graphies?…  Je me le demande.

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3 commentaires pour Prononciation vs Orthographe (2)

  1. auval dit :

    Allons-nous devoir prononcer Charlemag-ne (Charles le Grand, donc même étymologie que magnat)? Qu’en disent les Robert?

  2. schtroumpf grognon dit :

    ORTHODONTIE J’ai toujours une hésitation sur la prononciation de ce mot, le Robert, le Larousse et l’Académie française se contredisant.
    GALIMATIAS De nombreux locuteurs de français sont surpris quand je leur dis que la seule prononciation donnée par le Robert est celle en [-tja], qui est celle donnée par Littré.
    DÉTRITUS, ABASOURDIR, CARROUSEL Comment prononcez-vous ces mots ?

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