Nouvelle orthographe et Accent circonflexe (1)

L’ACCENT CIRCONFLEXE

L’avant et l’après

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                À l’occasion de son dixième anniversaire de naissance, un de mes petits-fils a reçu une carte, manuscrite, d’une copine de classe. On pouvait y lire : Bonne Fète Laurent. Il faut savoir qu’au Québec on dit plus couramment Bonne fête que Bon anniversaire. Simple question d’habitude.

En temps normal, j’aurais été « scandalisé » de voir fête ainsi écrit. Mais nous ne sommes plus en temps normal : la nouvelle orthographe vient d’arriver au primaire! C’est dire qu’il faut maintenant, avant de crier au loup, s’assurer qu’il y a bel et bien un loup dans la bergerie. Mon petit-fils n’a-t-il pas récemment appris à ses parents — et, du même coup, à son papi — que « nos » chauves-souris étaient, à notre insu, devenues des chauvesouris!… Il y aurait beaucoup à dire sur la disparition du trait d’union et du pluriel des mots ainsi transformés, mais cela devra attendre. Revenons plutôt à nos moutons.

Il y a toujours un avant et un après. Surtout en langue. Il y a, entre autres, avant 1990 et après 1990. Cette année-là paraît, en France, le Rapport du Conseil supérieur de la langue  française (CSLF), qui propose des modifications de graphie dans le but de rendre notre  langue plus simple ou en supprimer certaines incohérences.  (Pour la petite histoire, voir ici.)

C’est, faut-il le préciser, la dernière tentative en date de réforme de la langue française. Je dis dernière, car il y en a eu bien d’autres et il y en aura certainement d’autres, car la langue française est bourrée d’incohérences qui n’attendent qu’à être éliminées. Peut-être faudrait-il dire : qui attendent le bon vouloir des régents. Et quand ces derniers s’y mettent, on peut s’attendre à tout. À preuve, ce qu’est devenue la langue sous leur férule, en 1990. 

Dans un premier temps, je vais m’attarder à ce qu’était l’emploi de l’accent circonflexe AVANT que la Nouvelle orthographe (c’est ainsi que je désignerai les recommandations du rapport du CSLF) ne fasse son apparition. Ou ne vienne mêler les cartes, c’est selon. Nous nous pencherons ensuite sur l’APRÈS, sur ce qu’on veut que cet emploi devienne. Nous serons alors mieux placés, du moins je l’espère, pour évaluer la pertinence des modifications « proposées », pour ne pas dire « imposées ».

Origine de l’accent circonflexe

Cet accent n’est pas un nouveau venu. Il fait, pour ainsi dire, partie du paysage linguistique de chacun. Il est là depuis que nous savons lire et écrire. Nous l’acceptons sans mot dire, mais pas nécessairement sans maudire…. D’ailleurs, nous n’avons pas le choix. Personne n’aime se faire faire des remontrances sur ses compétences linguistiques.

Mais si l’on essayait de faire plus que de l’accepter… Si l’on essayait de comprendre la raison d’être de cet accent, qu’est-ce que cela donnerait? Découvririons-nous qu’il est essentiel à la langue ou qu’il est inutile? Notre attitude relativement à cette nouvelle orthographe en dépend en partie.

Même si la copine de Laurent ne s’est formellement pas posé de question concernant l’accent circonflexe, elle ne lui voyait clairement aucune utilité : fête et  fète se prononcent tous deux exactement de la même façon. Pourquoi alors lui mettre un accent circonflexe quand l’accent grave fait déjà l’ouvrage?…  Si elle avait été plus vieille, elle aurait pu se demander pourquoi il faut mettre un accent circonflexe sur fête mais un accent grave sur arbalète, athlète, comète, diabète, diète, planète, poète, etc. Elle ne l’a pas fait, certes, mais elle a agi comme si elle s’était posé la question et avait fait son choix. Peut-on vraiment lui reprocher d’avoir utilisé l’accent grave? Je n’en suis pas sûr. Ceux qui croient que fête et poète sont différemment accentués parce que leur prononciation est différente ont tort : le ê et le è se prononcent tous deux de la même façon. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le NPR. Comparez la transcription phonétique qu’on y donne de fête [fɛt] et de poète [pɔɛt]. Le [ɛ] désigne un « e ouvert » comme dans lait [lɛ], merci [mɛʀsi], examen [ɛgzamɛ̃]. N’allons pas trop vite…  Ne BRULONS pas les étapes! Je ne peux plus écrire brÛlons, car mon petit-fils va penser que je ne sais pas écrire!

 Quand l’accent circonflexe est-il apparu en français?

Cela remonte au moins au début du  XVIIe siècle. Même si, en 1606, Jean Nicot, nous dit que cet « Accent circonflex, ou contourné […] n’a point de lieu en la langue Françoise », il est certainement utilisé sinon pourquoi prendrait-il la peine de faire cette mise en garde. Mais, moins d’un siècle plus, son statut change. En 1694, l’Académie dit alors de l’adjectif circonflexe : « Il n’a d’usage qu’avec le mot d’accent, & c’est un des trois accents de la Langue Grecque, composé du grave & de l’aigu. » Cet accent vient d’être naturalisé « français »!  Il n’y a plus rien à dire. L’Académie s’est prononcée!

Mais retracer le moment où cet accent entre officiellement dans la langue, ce n’est pas en faire voir la raison.

À quoi sert-il alors?

D’après le DAF (1ère éd. 1694), « […] on met un accent circonflexe sur les mots dont on a retranché une lettre, comme sur le mot âge, qui s’escrivoit autrefois aage. » Voilà donc, dit en termes très clairs, à quoi il sert. Et ceux qui se prononcent savent de quoi il retourne — du moins ils le devraient —, ce sont des Académiciens, les chiens de garde de la langue française nommés par Richelieu!

Mais comme chacun sait, dans tout ce qui est dit, il y a toujours une part de non-dit, une part d’implicite, dont la perception est laissée à la perspicacité de chacun, qu’il soit lecteur ou interlocuteur.

Quel est donc ce non-dit, caché sous cette « raison d’être »?

Si je dis : Il fait beau aujourd’hui, je laisse entendre, sans le dire formellement, qu’hier il ne faisait pas beau ou encore que demain il ne fera pas beau. C’est implicite.Cela vient de la présence de aujourd’hui. Alors quand je lis « On met un accent circonflexe sur les mots dont on a retranché une lettre, comme sur le mot âge, qui s’escrivoit autrefois aage », je suis en droit de me demander ce qui n’est pas dit explicitement, mais qu’il me faudrait comprendre.

Dois-je comprendre que…

  1. la « lettre retranchée » est nécessairement un a?

NON.  Aageâge n’est qu’un exemple. Dans un autre mot, ce pourrait être une autre lettre. Mais on ne donne que cet exemple. Aurait-on pu en citer d’autres? C’est à voir.

  1. cette autre lettre pourrait aussi être une consonne?

OUI. C’est ce que les Académiciens  nous disent, sans le dire, en employant l’article indéfini UNE [dont on a retranché UNE lettre]. Un exemple illustrant  la disparition d’une consonne aurait été fort apprécié; il aurait tué l’interrogation dans l’œuf. Mais tel n’est pas le cas. En existait-il seulement un en 1694? C’est à voir

3- cet accent ne sert qu’à indiquer la disparition d’une lettre?

OUI. L’explication, telle que formulée, ne laisse place à aucune autre interprétation. Pourquoi les Académiciens ne nous auraient-ils fourni qu’une partie de sa justification? Mais… qu’en est-il dans les faits? Pour le savoir, il suffirait de trouver, dans le DAF (1ère éd., 1694), d’autres mots qui s’écrivent avec un accent circonflexe. En existe-t-il? C’est à voir

4- une lettre retranchée est toujours remplacée par un accent circonflexe?

OUI. C’est ce que les Académiciens nous disent, sans le dire, en utilisant l’article défini LES : [sur LES mots dont on a retranché...(et non sur DES mots)]. Mais est-ce bien le cas? Existe-t-il des mots qui ont perdu une lettre, sans que, pour autant, cette disparition soit signalée par l’ajout d’un accent circonflexe? C’est à voir.

La raison d’être fournie par les Académiciens de la première heure n’est certainement  pas fausse, mais elle soulève des questions, qui demeurent sans réponse. Il nous suffirait de  trouver réponses à ces questions pour ainsi mieux saisir le rôle que joue réellement cet accent dans la langue ou que les Académiciens voudraient qu’il joue.

 Plus facile à dire qu’à faire.

Compulser le DAF (1ère éd.) afin d’y trouver d’autres mots qui seraient ainsi accentués n’est pas une mince tâche.

Le seul mot, autre que âge, que j’ai pu trouver — et ce n’est pas faute d.avoir cherché —, c’est  dûement. Mais ce mot est plutôt un contre-exemple. En effet, en 1606 (dict. de Nicot), on écrivait deument  (1). Remplacer le e disparu par un accent circonflexe aurait dû donner dÛment. Pourquoi alors, en 1694, lui avoir ajouté un e près le û? Serait-ce parce qu’un adverbe se construit généralement sur le féminin de l’adjectif correspondant? Euh… Si telle est vraiment la raison, la logique n’a pas tenu le coup très longtemps. En effet, ce nouveau e disparaît à son tour quelques décennies plus tard, plus précisément en 1762 (DAF, 4e éd.), pour donner dûment. Ainsi en ont décidé les régents!

La recherche directe dans le DAF n’a malheureusement donné aucun résultat concluant. J’aurais pourtant aimé y trouver d’autres mots coiffés d’un accent circonflexe, question de vérifier la portée de la raison d’être qu’on lui attribue. Les seuls âge et dûement ne me le permettent évidemment pas. J’en suis réduit à croire « sur parole ». Ce que je fais toujours avec  beaucoup de réticence. Par déformation professionnelle, cela va sans dire.

L’exemple de aage âge illustre certes à merveille la fonction qu’on lui attribue, à savoir indiquer la disparition d’une lettre. Mais un seul exemple ne me convainc pas. Il devrait pourtant être possible de trouver d’autres mots qui, pour cette raison, se sont vus coiffer d’un accent circonflexe. Mais je n’y suis pas arrivé. Comme la recherche directe n’a rien donné, je décide de procéder de façon indirecte. Je vais chercher, dans le dictionnaire de F. Godefroy (Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes  du IXe au XVe siècle) des mots dont la graphie sera modifiée dans le DAF (1ère éd., 1694), des mots qui auront perdu une lettre… À ma grande surprise, cette approche donne vite des résultats. Ce que j’y trouve contredit toutefois ce qu’avancent les Académiciens. La disparition d’une lettre ne se traduit pas toujours par l’ajout d’un accent circonflexe. À preuve, aancrer, aaisement, aaidier, dont la parenté avec aage n’échappera à personne, j’en suis sûr. En 1694, ils s’écrivent ancrer, aisément et aider. Sans accent malgré la disparition d’un a! Contrairement à âge, que l’on donne en exemple. Pourquoi âge et pas âncrer? De toute évidence, les exceptions (ou inconséquences) ne datent pas d’hier!

               Je pourrais également citer les verbes deschanter et descoucher (relevés dans le dict. de Nicot, paru en 1606) qui, bien qu’amputés de leur S dans le DAF (1ère éd.), n’ont pas pour autant fait l’acquisition d’un accent circonflexe. Ils s’écrivent dechanter et decoucher. Sans accent aigu. Ce dernier n’apparaîtra qu’en 1762 (DAF, 4e éd.).

               La raison d’être de ce fameux accent que nous fournissent les premiers Académiciens (DAF, 1ère éd.) a une portée, vérifiable, fort limitée. C’est à se demander, même, si elle est crédible. Du moins à mes yeux. Ce n’est pas parce que aage est devenu âge — un cas ne fait pas loi, faut-il le répéter — que la disparition d’une lettre devient un moteur de l’évolution de la langue.

Puis, cette raison d’être se met à exécuter une valse à mille temps. 

La raison d’être de l’accent circonflexe a, pourrait-on dire, « évolué ». Du moins, si l’on se fie à la façon dont les Régents en parlent par la suite. Évolué n’est peut-être pas le bon terme à utiliser ici. Changé serait sans doute préférable.

Ce qu’en disent les Académiciens en 1694, à savoir qu’« En François on met un accent circonflexe sur les mots dont on a retranché une lettre, comme sur le mot âge, qui s’escrivoit autrefois aage. », n’a pas fait long feu. Dans les éditions subséquentes de leur dictionnaire, ils  racontent une autre histoire, une histoire aux nombreux rebondissements. Voyons ce qu’il en est.

En 1762 (DAF, 4e éd.) : « Un accent qu’on met sur certaines syllabes, pour marquer qu’elles sont longues. »  

L’accent ne sert donc plus à signaler la disparition d’une lettre! Il indique plutôt la longueur d’une syllabe. De graphique, sa fonction devient purement phonétique! Voilà un changement pour le moins radical!

Si, comme on le dit, cet accent se rencontre sur CERTAINES syllabes longues, il y en a obligatoirement d’autres qui sont longues et qui n’en portent pas. Pourquoi uniquement sur certaines?… Se pourrait-il que cet accent se rencontre même sur des syllabes qui ne sont pas longues? C’est à voir.

En 1798 (DAF, 5e éd.) : « Un accent qu’on met sur certaines syllabes, pour marquer qu’elles sont restées longues après la suppression d’une lettre. »

Voilà que la fonction graphique, la seule qu’on lui attribuait en 1694, refait surface, associée, cette fois, à la fonction phonétique, la seule qu’on lui attribuait en 1762.

Si je comprends bien, il y aurait des syllabes qui, de longues qu’elles étaient, seraient devenues brèves après suppression d’une lettre, car seules celles qui sont restées longues sont accentuées! C’est également dire que toute syllabe longue qui n’a pas perdu une lettre ne porte pas d’accent. Comment savoir alors qu’une telle syllabe est longue?… C’est à voir.

En 1835 (DAF, 6e éd.) : «  Accent dont on se sert principalement pour marquer les voyelles qui sont restées longues après la suppression d’une lettre : les mots Âge, blâme, fête, gîte, flûte, etc, s’écrivaient autrefois, Aage, blasme, feste, giste, fluste, etc. »

La justification est la même que dans l’édition précédente, à une petite différence près : on fournit des exemples pour illustrer son propos. Si je comprends bien, dans les mots Âge, blâme, fête, gîte, flûte, l’accent signale au lecteur qu’une lettre a été supprimée et qu’avant cette suppression cette syllabe était longue et l’est restée. Telle que formulée, la raison d’être de cet accent nous dit, sans le dire expressément, qu’un e bref, un i bref, un u bref, ça existe et que de telles lettres ne sont pas accentuées. Mais ces lettres brèves existent-elles vraiment? Euh… Que le u soit accentué (supposément long) ou non accentué (supposément  bref), sa prononciation reste la même. Comparer la transcription phonétique de  flûte [flyt] à celle de brute [bʀyt] devrait suffire à vous convaincre. On pourrait en dire autant du i, accentué ou pas (long ou bref). Comparez gîteit]  à bursite [byʀsit]. Que dire d’un e bref, i.e. non accentué? Très souvent, pour ne pas dire la plupart du temps, il est muet ou presque. Il n’est jamais question de e long ou court. On ne parle que de e ouvert et de e fermé. Et ces sons n’ont rien à voir avec l’accent qui, soit dit en passant, peut, sur cette lettre, être aigu, grave ou circonflexe. C’est le même e fermé que l’on trouve dans aller, blé, chez; et le même e ouvert, dans merci [mɛʀsi], lait [lɛ], fête [fɛt], athlète [atlɛt].

En 1872 (le Littré) : « Accent circonflexe, signe orthographique mis sur certaines voyelles longues, comme pôle, OU qui proviennent de la suppression d’une autre lettre, comme hôtel pour hostel, âge pour aage. »

Encore une fois, on formule différemment la raison d’être de ce fameux accent. Ici, les deux fonctions, i.e. phonétique (voyelle longue) et graphique (suppression d’une lettre), sont clairement dissociées. C’est l’une OU l’autre. Si je comprends bien, hôtel et âge prennent l’accent, parce que le S de hostel et le a de aage ont disparu et NON PAS parce que la syllabe est longue, comme cela serait supposément le cas pour pôle! Je dis supposément, car ce mot s’est écrit pole jusqu’en 1762. Sa prononciation aurait-elle changé à ce moment-là? Sa première syllabe a-t-elle toujours été longue? Si oui, pourquoi lui ajouter un accent pour indiquer quelque chose que l’on sait déjà?…

De plus, Littré nous dit que cet accent se rencontre sur CERTAINES voyelles longues. Pourquoi uniquement sur certaines? À quoi sert donc vraiment cet accent?…

En 1932-1935 (DAF, 8e éd.) : « Signe d’accentuation dont on se sert principalement pour marquer les voyelles qui sont devenues longues par suite de la suppression d’une autre voyelle ou d’une consonne qui les suivait. Âge, blâme s’écrivaient anciennement Aage, blasme. »  

Voilà qu’on modifie à nouveau (ou de nouveau) sa raison d’être. On réassocie ce qu’on avait dissocié en 1872. Les deux fonctions, graphique et phonétique, sont cette fois-ci intimement liées. Ce serait, nous dit-on, sa fonction principale! Mais le rapport entre ces deux fonctions n’est plus du tout le même. Au lieu d’indiquer, comme en 1798, que la syllabe était déjà longue AVANT la suppression d’une lettre, cette fois-ci (en 1932-1935), cet accent indique que la syllabe est devenue longue par suite de la suppression d’une lettre. C’est ce que j’appelle un virage à 180°. Est-ce que toute suppression crée nécessairement une syllabe longue?… C’est à voir.

Bref, l’Académie n’a de cesse, depuis 1694, de modifier la raison d’être de l’accent circonflexe. Comme si elle n’arrivait pas à y voir clair! Ou encore à la formuler correctement! Le travail fait semble bâclé. C’est du moins  l’opinion du profane en la matière que je suis. Que dira l’Académie dans la prochaine édition de son dictionnaire? La modifiera-t-elle une autre fois? Je n’en serais pas surpris.

LES DICTIONNAIRES DE LANGUE COURANTE, publiés avant 1990

Ce que je viens de détailler, c’est ce qui avait cours autrefois. Mais que nous disent les dictionnaires de langue courante? Sont-ils plus précis, plus complets? La raison d’être de cet accent est-elle mieux formulée? Je me limiterai au Robert, car je ne possède pas de Larousse publié avant 1990, année de publication de la Nouvelle orthographe. [Ceux qui en possèdent un pourraient peut-être me donner un coup de pouce.]

En 1965, dans le Robert, dit le Grand : « Se dit d’un signe d’accentuation […] placé sur certaines voyelles longues et spécialement sur celles qui ont été allongées par la chute de l’une des deux consonnes qui la suivaient (pâte pour paste), OU comme signe diacritique. »

Paul Robert ne fait pas que paraphraser la description qu’en fait le DAF (8e éd.), sa principale source d’inspiration, il la modifie.

  • Cet accent se retrouve sur CERTAINES voyelles longues. Pourquoi ne pas en mettre sur toutes? Quel rôle joue alors cet accent là où on en trouve un? À nous compliquer la vie?… Il faut, pour prétendre être maître de sa langue, avoir mémorisé les mots où il en faut un et ceux où il n’en faut pas. Et surtout, ne pas se demander pourquoi.
  • Cet accent se retrouve spécialement sur les voyelles devenues longues par suite de la disparition d’une des deux CONSONNES qui la suivent. Est-ce à dire que si la lettre qui disparaît est une voyelle, l’accent circonflexe n’a pas sa place? Pourtant, l’Académie (DAF, 1ère éd., 1694) justifiait la graphie de âge en disant qu’il « s’escrivoit autrefois aage. » Pourquoi alors ne parler que de consonnes?… Serait-ce que âge est un cas si unique qu’on peut le passer sous silence? C’est à voir.
  • Cet accent joue aussi le rôle d’un signe diacritique. C’est la première fois qu’on lui attribue un tel rôle. Mais aucun exemple n’est fourni. Ce que cela veut dire, c’est qu’il permet de distinguer des mots qui, sans lui, seraient homographes : cru/crû; du/dû; etc.

Il n’y a pas que des différences. Le Grand Robert maintient qu’une syllabe peut devenir longue par suite de la disparition d’une lettre. Il donne pâte comme exemple. Si je comprends bien, cela veut dire que, du temps que pâte avait un s (paste), son a se prononçait comme celui de date [dat] ou de patte [pat]. En est-il de même de tous les mots contenant un â? C’est à voir.

De 1967 à 1990, dans le Robert, dit le Petit : « Signe placé sur certaines voyelles longues (pâte pour paste) ou comme signe diacritique ».

Ce dictionnaire reprend ce que le Grand Robert dit, mais en plus court. Il laisse tomber « et spécialement sur celles qui ont été allongées par la chute de l’une des deux consonnes qui la suivaient ». Pourquoi donc? Est-ce parce que cette précision n’est pas essentielle ou parce qu’elle n’a pas sa place? On ne le saura jamais. Tout ce qu’on nous dit, c’est que CERTAINES voyelles longues sont porteuses de cet accent [il y en a donc qui n’en porteraient pas!], et que, sur d’autres, il permet de distinguer deux mots qui, sans lui, pourraient être confondus. Mais, là encore, aucun exemple n’est fourni. Faut-il comprendre que chaque fois que deux mots prêtent à confusion l’un d’eux porte un accent circonflexe?… C’est à voir.

CONCLUSION

Après avoir analysé, les unes à la suite des autres, les définitions données à l’accent circonflexe au cours des siècles, et les exemples fournis en appui;  après m’être demandé quelle pouvait bien être la portée de ces descriptions (compte tenu du non-dit), je dois avouer ne pas avoir une idée précise de son rôle. Et ce, pour une raison fort simple : les régents, eux-mêmes, n’ont de cesse d’en modifier la formulation. Comme s’ils n’arrivaient pas à formuler correctement ce qu’ils croient savoir!

Ça, c’était avant 1990!

 À SUIVRE

Maurice Rouleau

 (1) D’après le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, de F. Godefroy (tome 2, p. 693), ce mot s’est déjà écrit deuaument. Mais, ça, c’était bien avant 1606.

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8 commentaires pour Nouvelle orthographe et Accent circonflexe (1)

  1. Philippe Riondel dit :

    Sans accent circonflexe à fête, rien ne me suggère que fête et festival, côte et intercostal ou maître et magistral sont de la même famille…

  2. André Versailles dit :

    Intéressante analyse.
    Grevisse (Le Bon Usage, 1969) présente la question de façon plus claire et plus cohérente que ne le font les ouvrages du passé et du présent que vous citez. Il ne manque pas de souligner « l’inconséquence de la langue » (diplôme, axiome). Enfin, d’après lui, l’accent aigu et l’accent grave ont été introduits, le premier par un imprimeur, le second par un médecin, puis un imprimeur. L’usage s’imposant à la régence!

    • rouleaum dit :

      Je n’ai pas encore parler du ô, car la nouvelle orthographe ne s’intéresse qu’au I et au U.

      Cela viendra, soyez-en sûr. J’ai encore beaucoup de matériel pour ce simple sujet.

  3. LMMRM dit :

    Vaste programme ! et comment expliquer la disparition du circonflexe dans «infamie» (< «infâme»), «fantomatique» (< «fantôme»), «cône» (< «conique»), etc. ?
    Et si demain on a besoin du mot «fète» pour exprimer une nouvelle notion ? on aura deux homographes et on rétablira le circonflexe de «fête» pour les différencier ?
    Les éradicateurs modernistes bureaucratiques apprentis sorciers grassement payés dans leurs moelleuses commissions sont à la manœuvre pour mettre le désordre sous prétexte d’ordre, d’égalité, d'accommodement raisonnable, etc. (les prétendues bonnes raisons ne manquent jamais), et pour avoir leur quart d’heure de célébrité dans les médias toujours avides de nouveauté inutile.
    Attention à ne pas tirer un fil du tricot au risque de tout détricoter.

    • rouleaum dit :

      Comme je l’ai fait remarquer récemment à un autre correspondant, je n’ai pas encore abordé l’accent circonflexe sur le A et le O (les deux cas dont vous faites mention). Cela viendra, ne désespérez pas. Je me suis limité pour commencer aux deux seules voyelles auxquelles le comité d’experts a décidé d’enlever l’accent circonflexe.

  4. Un blog excellent, merci !

  5. Bordino dit :

    Fête et fête ne se prononce pas de la même manière. Il y a une légère différence entre les deux.

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