Révision ou Revision / Révoir ou Revoir

 

 La petite histoire du mot RÉVISION

ou

Les décisions étonnantes de  l’Académie française basées sur l’USAGE

 

Faut-il écrire rÉvision ou rEvision? Autrement  dit, faut-il, ou non, lui mettre un accent? Pourquoi lui en mettre un, diront certains, étant donné que ce mot désigne l’action de revoir et non de révoir? Il faut le reconnaître, cet argument n’est pas sans valeur. Pourtant, le Petit Robert — et  ce, depuis sa première édition, en 1967 — l’écrit avec un accent. Nulle part, on ne voit revision. La question ne se poserait donc pas. Pourquoi alors me la poser, direz-vous?

Parce que, voilà bien des lunes, j’ai vu ce mot écrit sans accent. Et n’y ai pas prêté attention. J’aurais dû… mais je ne l’ai pas fait.

  • Je ne l’ai pas fait, parce que le Petit Robert, ma bible à l’époque — le livre dont je ne remettais pas en question la parole — m’indiquait la voie à suivre : il faut écrire révision et non revision. Point à la ligne. Certains vont même jusqu’à penser que ce mot ne s’est jamais écrit autrement! Nous allons voir qu’ils ont tort de penser ainsi.
  • J’aurais dû, parce que… cet emploi n’était pas le fait d’un quidam, nul en « orthographe ». Cette graphie provenait d’un dictionnaire! Et qui dit dictionnaire dit… VÉRITÉ! C’est ce qu’on m’avait appris et, conséquemment, ce que je croyais. Mais que je ne crois plus. Mes idées à ce sujet ont elles aussi évolué.

 RÉVISION ou REVISION n. f..

Au Québec, tout cursus en traduction inclut un cours de révision. Ce n’est peut-être pas « cool », ce n’est peut-être pas non plus « in », mais c’est un « must »! (Voir Les anglicismes.) J’ai donc dû m’y inscrire.  L’ouvrage alors recommandé (euphémisme pour dire obligatoire, car il n’en existait pas d’autres) était Pratique de la révision, de P. A. Horguelin (2e éd., Linguatech, Longueuil, 1985). La graphie de ce mot s’imposait d’elle-même. Il me fallait dire et écrire RÉVISION, car l’auteur de cet ouvrage l’écrivait ainsi. Mais, pour une raison inconnue, Paul Horguelin avait décidé de reproduire, en page couverture, ce qu’un dictionnaire disait de ce mot. Voici l’entrée en question, qui a semé un petit doute dans mon esprit, un doute trop vite dissipé :

RÉVISION ou REVISION  n. f. (lat. revisio)  Action de réviser, d’examiner de nouveau. Le résultat de cette action : La révision des listes électorales.  

  • Diplom. Lettres de révision, v. LETTRE.
  • Dr. Modification d’un texte juridique […]
  • Imprim. Action de réviser une épreuve typographique.

Que conclure d’une telle entrée et surtout de sa présence sur la page couverture de ce manuel? Mes connaissances en langue sont alors trop réduites pour que j’en saisisse toute la portée.

Je fais alors avec les moyens du bord : je me dis que ce mot peut s’écrire avec ou sans accent; qu’aucune de ces deux graphies n’est fautive. Sinon pourquoi les présenterait-on en entrée double dans ce dictionnaire? Mais le lexicographe qui a rédigé cette entrée, lui, a pris position : il n’utilise que révision dans le corps de l’article. Et Paul Horguelin en fait autant dans son ouvrage. Je me dis alors que, n’eût été de leur goût personnel, ils auraient pu choisir l’autre graphie, sans risque de se voir accuser de donner le mauvais exemple. À moins qu’ils aient choisi cette graphie parce qu’elle leur était plus familière… Qui sait?

Voilà ce qui m’est venu à l’esprit en voyant cette entrée double présentée en page couverture. L’idée qu’elle provienne d’un vieux dictionnaire ne m’a même pas effleuré l’esprit.  La langue que je pratique à ce moment-là est ancrée dans le présent et non dans le passé. L’intérêt que je porte actuellement à l’évolution de la langue n’avait pas encore tout à fait pris racine. C’est d’ailleurs en partie à cause de cet intérêt que, dans le présent billet, je cherche à retracer le chemin parcouru par ce mot depuis son apparition dans la langue. Et aussi parce que je veux comprendre d’où nous viennent toutes ces contraintes (ou libertés) que nous impose (ou nous permet) le dictionnaire.

Si j’en avais su plus, à l’époque, sur le fonctionnement de la langue, j’aurais pu me poser une autre question : pourquoi, dans l’ordre de présentation, RÉVISION précède-t-il REVISION? Ne sachant pas de quel dictionnaire provient cette entrée, je ne peux me référer à sa politique éditoriale. Cet ordre des variantes en entrée double respecte-t-il une norme établie en dictionnairique? Je n’en avais, et n’en ai toujours, aucune idée. Le peu que j’en sais, je l’ai trouvé le Nouveau Petit Robert de 1993. Plus précisément dans les pages liminaires (p. XII), celles que, de tout temps, trop peu de gens lisent. J’y apprends que l’ordre de présentation des variantes d’un mot que privilégie ce dictionnaire est loin d’être aléatoire (1). Mais rien ne me dit que les autres respectent sa façon de faire.

 Si je me pose toutes ces questions, c’est, vous l’aurez compris, parce que je veux  savoir exactement ce que veut nous dire ce dictionnaire. Et non ce que je pense qu’il veut dire.  Mais Paul Horguelin n’a pas pris soin de préciser de quel dictionnaire il s’agit. Sans doute a-t-il jugé que cette information n’avait aucun intérêt compte tenu de la raison de cette entrée sur la page couverture de son ouvrage. Pas plus qu’il n’a, fort probablement pour la même raison, indiqué l’année de publication de ce dictionnaire. Il  s’agit peut-être d’un vieux dictionnaire… peut-être même d’une des éditions du DAF (Dictionnaire de l’Académie Française). Qui sait? Je décide donc de m’en assurer.

Je commence, comme toujours, par consulter le site Dictionnaires d’autrefois. J’y découvre qu’effectivement les deux graphies ont eu cours, mais à des époques différentes. Soit dit en passant, ce site, pour des raisons qui ne sont pas précisées, ne permet de consulter que cinq des neuf éditions du DAF : la 1re (1694), le 4e (1762), la 5e (1798), la 6e (1835) et la 8e (1935). Pour savoir ce que contiennent les autres, il faut faire une recherche dans chacune d’elles. Ce travail long et fastidieux sera bientôt, nous dit-on, histoire du passé (2). Espérons qu’il ne s’agit pas d’un canular ou, pour être plus « in », d’une « fake news ».

Voyons ce que nous disent ces différentes éditions.

1re éd. 1694  et  2e éd. 1718

 Dans la première édition, tout comme dans la deuxième, l’Académie française écrit ce mot sans accent :

REVISION s. f. Action par laquelle on revoit, on examine de nouveau. Il ne se dit guere qu’en matiere de compte & de procez. Revision de compte. demander la revision d’un procez. il avoit esté condamné, mais il a obtenu des lettres de revision.

Il n’y a là rien d’étonnant, puisque l’action décrite consiste à REvoir quelque chose et non à le voir.

3e éd. 1740      6e éd. 1835

 En 1740, l’Académie change d’idée. Elle l’écrit alors avec un accent :

RÉVISION   s.f.  Action par laquelle on revoit, on examine de nouveau. Il ne se dit guère qu’en matière de comptes & de procès. Révision de compte. Demander la révision d’un procès. Il avoit été condamné, mais il a obtenu des lettres de révision. Il ne se dit que Des procès criminels.

Cette nouvelle graphie n’arrive pas en langue comme un cheveu sur la soupe. Que non! Ce changement de graphie ne peut s’expliquer que par un changement dans l’usage. — Même si seulement 22 ans se sont écoulés depuis la parution de l’édition  précédente! — J’en veux pour preuve, ce que dit Mme Hélène Carrère d’Encausse :

D’une édition à l’autre, notre Dictionnaire a enregistré, balisé et mis en forme les modifications proposées par l’usage.   

Et elle poursuit :

J’ai parlé de l’usage, notre souverain maître. Dire l’usage : cette mission, l’Académie se l’est assignée et elle l’a revendiquée dès sa création. C’est un choix qu’elle formulait déjà dans la préface de la première édition et qu’elle a constamment réaffirmé dans les huit suivantes.

On ne peut être plus clair. Et cette dame sait de quoi elle parle : elle est, ne vous en déplaise, LE secrétaire perpétuel de l’Académie française!

Donc, en 1740, l’usage, ce souverain maître (3), veut que l’on écrire dorénavant RÉVISION. Et cet usage s’est apparemment maintenu jusqu’à nos jours, puisque révision est la seule et unique graphie admise dans les dictionnaires courants. Je dis apparemment, car, il y a un vice dans ce raisonnement : on fait un saut de plus de 275 ans (de 1740 à 2019), sans prendre la peine de vérifier ce qui a pu se produire entre-temps. Le Thomas que je suis ne peut le tolérer. Il lui faut s’assurer que tel est bien le cas. Et non «  apparemment le cas ».

Vérification faite, l’usage n’est pas resté au beau fixe durant tout ce temps. Il a changé. Brièvement, il est vrai, mais il a tout de même changé.

7e éd. 1878  et  8e éd. 1935

 Sans plus de ménagement qu’elle n’en avait manifesté quand elle a ajouté un accent à ce mot, l’Académie, cette fois-ci, le lui enlève. Elle remplace RÉVISION (qui était la norme depuis 1740) par REVISION, la graphie qui avait eu cours voilà près de 200 ans. J’en reste bouche bée. En voyant cela, je ne peux m’empêcher de penser au chauffeur d’autobus qui, aux heures d’affluence, ne cesse de crier : « Avancez en arrière! »

Mais comme l’usage est le souverain maître des Académiciens, ce changement ne  peut que refléter un autre changement dans l’usage. Celui qui en douterait n’a qu’à lire la préface de cette 7e édition. Il y est clairement dit :

L’Académie ne recueille et n’enregistre que les mots de la langue ordinaire et commune, de celle que tout le monde, ou presque tout le monde, entend, parle et écrit.

Il n’y a là aucune méprise possible : . « tout le monde ou presque » écrit REVISION. Et non plus RÉVISION! C’est l’Académie qui le dit. Ce ne peut donc qu’être vrai. Mais l’est-ce réellement? Je me permets d’en douter, mais pas de l’affirmer, car je ne dispose d’aucune preuve directe.

Que s’est-il donc passé entre 1835 (année de publication de la 6e éd. du DAF) et 1878 (année de publication de la 7e éd.) pour que, dans cette dernière, révision perde son accent? Difficile à dire. Les Immortels, ces régents de la langue, ne se croient pas obligés de justifier leur décision. « Ils pontifient », m’a déjà dit un ami. Faut dire que leur mission de veiller sur la langue leur a été confiée par un cardinal! C’est tout dire…

Les Immortels ne se justifient jamais, ou presque. Soit. Reconnaissent-ils, dans leur prise de position, la contribution de gens qui ne font pas partie de leur club privé? Je me risquerais à me dire intérieurement : « Encore moins ». Ce qui n’empêche pas qu’il ait pu y avoir influence de l’extérieur. Si je m’aventure aussi loin, c’est qu’entre 1835 et 1878, plus précisément en 1858, Benjamin Legoarant a publié un ouvrage intitulé  Nouveau dictionnaire critique de la langue française ou Examen raisonné et projet d’amélioration de la sixième édition du dictionnaire de l’Académie, dans lequel on peut lire (p. 487) :

Dans ce mot [réviseur], aussi bien que dans son analogue [sic] Révision, il faut retrancher l’accent aigu, à moins de le placer aussi sur le premier e de Reviser, autrement on doit renoncer à obtenir de l’uniformité dans le langage, car il est impossible de se rappeler une multitude d’exceptions semblables à celle-ci.

Le changement de cap orthographique que propose l’Académie dans cette 7e éd. de son dictionnaire traduit-il sa réaction à la suggestion de Benjamin Legoarant? Hypothèse fort intéressante, mais difficile à prouver. Ce n’est, vous l’aurez compris, que pure spéculation de ma part, mais la chronologie des événements m’amène à me poser la question. Les Immortels auraient aussi bien pu décider d’accentuer le verbe qui serait alors devenu Réviser. Et le tout serait devenu cohérent. Mais tel ne fut pas leur choix. Reviser était pour eux un intouchable, pour ne pas dire un immortel, comme eux. Pourquoi le corriger puisqu’ils l’avaient de tout temps écrit sans accent… et que, pourrait-on ajouter, le problème concernait la graphie du substantif et non celle du verbe? [Les régents portent souvent des œillères quand ils pontifient!]

9e éd. 1985-…

Puis arrive la 9e édition.

Encore une fois, toujours sans crier gare, les Académiciens en changent la graphie. Faut croire qu’au cours des 50 années précédentes, un autre changement dans l’usage s’est produit. Ils font encore une fois marche arrière. Il faut dorénavant écrire RÉVISION et non plus REVISION, comme le prescrivaient les deux éditions précédentes (les 7e et 8e). Autrement dit, il faut l’écrire comme on avait commencé à l’écrire en 1740! « Autres temps, autres mœurs! », diront certains.

Fait inhabituel, dans cette 9e éd. du DAF, les Académiciens nous rappellent qu’il y a eu un « autre temps ». À la fin de l’entrée révision, ils prennent soin d’ajouter :

(On a écrit aussi Revision.)

C’est en effet très inusité. C’est la première fois que je vois les Immortels rappeler l’existence d’une « vieille » graphie. Pourquoi donc le faire dans ce cas particulier et aussi dans deux autres mots de la même famille : réviseur et aussi réviser (4). Mystère et boule de gomme.

L’USAGE, ce Souverain Maître

 Nous l’avons vu,  les Académiciens ne jurent que par leur Souverain Maître, l’USAGE. Et ce, depuis 1694. S’ils apportent des modifications à un mot de leur dictionnaire, ce n’est pas, nous rappelle Hélène Carrère d’Encausse, « le fait d’un quelconque caprice […], mais bel et bien parce que l’usage voulait qu’il en soit ainsi. »

En 1872-1877, Littré nous dit respecter le même crédo. Dans la préface de son dictionnaire, il écrit :

[…] je dirai, définissant ce dictionnaire, qu’il embrasse et combine l’usage présent de la langue et son usage passé, afin de donner à l’usage présent toute la plénitude et la sûreté qu’il comporte.

Et Littré a fait école. Tous se réclament aujourd’hui de l’USAGE.

Paul Robert, en 1950, en témoigne. Dans l’Introduction au 1er volume de son dictionnaire (connu, depuis la parution du Petit Robert, sous le nom de Grand Robert), il écrit :

Nous répéterons avec lui [Littré] que « L’usage contemporain est le premier et principal objet d’un dictionnaire ». Le but est atteint si les textes retenus rendent compte de cet usage.

                 Si tous les lexicographes respectent le même MAÎTRE, si tous décrivent l’USAGE, le commun des mortels, dont je fais partie, s’attend à trouver essentiellement la même information quel que soit le dictionnaire consulté. Un seul devrait donc suffire! Mais MON maître en révision, P. Horguelin, s’inspirant de la locution latine Timeo hominem unius libri (trad. Je crains l’homme d’un seul ouvrage), disait : « Je crains le réviseur d’un seul dictionnaire. » Et il avait raison. Par exemple, le Petit Robert et le Petit Larousse ne disent pas toujours la même chose. (Voir QUI CROIRE?   Pierre ou Paul? Pierre Larousse ou  Paul Robert?)

Comment expliquer qu’ils ne décrivent pas le même usage? Assez troublant comme perspective, ne croyez-vous pas? C’est, en bout de ligne (5), la fiabilité de ces ouvrages qui est en cause. Il n’y a pourtant aucune raison pour que l’un soit plus, ou moins, crédible que l’autre. J’irais même jusqu’à dire : plus, ou moins, crédible que le DAF, même si l’Académie se dit la détentrice de LA vérité.

Comparons donc ce que différents dictionnaires nous disent du mot révision avec ce qu’en dit le DAF dans ses 9 éditions.

Pour mieux faire voir l’évolution de la graphie « officielle » de ce mot, j’ai défini 4 périodes (A, B, C et D), chacune correspondant à la graphie « officielle » du mot durant cette période. Et chaque édition du DAF (de 1 à 9) est identifiée par sa date de publication, 1694 étant la 1ère éd.; 1985, la 9e éd. On y voit clairement les changements apportés au cours des siècles. Par exemple, durant les périodes A (1re et 2e éd.) et C (7e et 8e éd.), la graphie officielle est revision. Durant les périodes B et D, c’est révision.

         A                                  B                                     C                      D

1694    1718    1740    1762    1798    1835    1878    1935    1985-     ??? 

Revision                     Révision                        Revision           Révision

On voit mieux ainsi que, n’eût été de la période C, la graphie revision aurait eu une très courte vie. Elle serait disparue définitivement dès 1740. Mais il y a eu la période C, celle qui ne peut qu’étonner tout lecteur attentif.

Pourquoi, en 1878, les Académiciens sont-ils revenus à l’ancienne graphie, celle qui avait cours de  1694 à 1718? Pourquoi l’ont-ils abandonnée à nouveau (ou de nouveau) en 1985? L’USAGE est, semble-t-il hésitant. C’est du moins ce qu’ils nous laissent croire. Mais que je ne crois pas nécessairement.

Si l’Académie décide, en 1878, de changer révision pour revision, c’est, à ne pas en douter, que l’USAGE a changé au cours des décennies précédentes et que, fidèle à sa mission, elle l’impose à tous. Elle a pour tâche de préserver la pureté de la langue! Mais y a-t-il vraiment eu changement dans l’usage? Étant ce que je suis, je ne peux m’empêcher d’en douter. Mais comment vérifier que tel est bien le cas? Je n’y vois qu’une façon de faire :  voir ce que disent de ce mot d’autres dictionnaires, publiés à la même époque, et pour lesquels l’USAGE est aussi le Souverain Maître. Ces ouvrages devraient, si l’Académie a raison, corroborer ses dires. Si non, ils diront le contraire. Et, par la force des choses, sèmeront un doute dans mon esprit. Voyons ce qu’il en est.

J’ai retracé 2 dictionnaires qui ont été publiés à l’époque où le DAF (1878) a remplacé révision par revision. Ce sont  :

Contrairement au DAF, ces deux dictionnaires n’ont pas noté de changement dans l’USAGE. Ils continuent d’écrire révision, comme cela se faisait depuis 1740.  Alors… Qui faut-il croire? L’Académie? Ou le Larousse et le Littré?…

Si l’Académie décide en 1935 de maintenir la graphie revision, c’est que le changement dans l’USAGE qu’elle a noté, à tort ou à raison, dans l’édition précédente est, à ses yeux, toujours réel. Est-ce bien le cas? Peut-être que… oui. J’ai retracé deux dictionnaires qui ont été publiés entre 1878 et 1935 :

Ces deux ouvrages incluent dans leur nomenclature les deux graphies, qu’ils présentent dans l’ordre suivant : « revision ou révision » (6). Ont-ils mis revision en premier parce que l’Académie en faisait la seule et unique graphie admise, i.e. « officielle »? Ont-ils mis révision en second, parce que ce mot était, selon eux, encore en usage, malgré ce qu’en disait l’Académie? On ne le saura jamais.

Comme je l’ai mentionné précédemment, l’Académie, dans la 9e édition de son dictionnaire, change encore d’idée. Ou, pour être plus précis, elle observe un autre changement dans l’USAGE. Changement qu’elle se fait un devoir de porter à l’attention de tous! Ce nouveau changement se serait donc produit entre 1935 (8e éd.) et 1985 (9e éd.). L’USAGE veut, nous dit-elle, que l’on écrive révision et non plus revision. Il faut, encore une fois, faire marche arrière; revenir à l’ancienne graphie, celle qui avait cours entre 1740 et 1835!  Tous ces changements commencent à me donner le tournis!

Les Académiciens sont-ils les seuls à noter ce changement dans l’USAGE?  D’autres dictionnaires, parus à la même époque, le confirmeraient-ils? Voyons voir.

Le seul ouvrage que j’ai pu retracer et qui répond à cette condition est le Grand Robert. Dans sa 1ère édition (1951-1966), on peut y lire :

REVISION (vx. ACAD.) ou RÉVISIONn. f. (1298 revision; empr. latin revisio) […]

La présentation des deux graphies, en entrée double, me dit que ce sont des formes courantes. C’est la règle qu’a établie le Robert. Relisez bien la note (1) :

Si deux formes sont courantes, elles figurent à la nomenclature en entrée double : ASSENER ou ASSÉNER

Cette même règle stipule aussi que « dans cette présentation, le lexicographe favorise la première forme. »

C’est là que je me mets à froncer les sourcils. Pour ne  pas dire que je décroche. Que veut bien nous dire le Robert par (vx, ACAD.)? Que l’emploi de revision est, selon lui, vieux, mais que c’est la graphie qu’impose l’Académie? Ou que c’est l’Académie qui le dit vieuxDifficile à dire. Ce que je sais pour sûr, c’est qu’aucune de ces hypothèses ne tient la route. La première met le Robert en contradiction avec lui-même : ce mot ne peut être à la fois courant et vieux. La seconde fait dire à l’Académie ce qu’elle n’a jamais dit. Il y a là, vous en conviendrez, de quoi être perplexe. Et douter encore plus de l’USAGE décrit.

 Dans la 2e éd. du Grand Robert (1984), l’entrée est modifiée :

RÉVISION, n. f. – 1611: resvision, 1298: du bas lat. revisio, du class. revisum, supin de revisere → Réviseur.

REM. La forme revision est archaïque.

Il n’y a plus qu’une seule graphie courante : révision. La forme revision est devenue, nous dit-on en remarque, archaïque. Archaïque! Vraiment? Voilà qui rajoute à ma confusion. Car, si j’en crois ce que le Robert fait dire aux marques d’usage, un mot dit vieux ne peut pas devenir archaïque. Un mot archaïque peut, lui, devenir vieux (7). Vous me direz que cela semble le contraire du bon sens et vous n’auriez pas tort. Mais je dois attribuer aux mots le sens que le Robert leur attribue. Sinon, je leur fais dire ce que moi j’y vois et non ce que, lui, y voit. J’ose seulement espérer ne pas m’être emmêlé les pinceaux.

 Et qu’en dit le Petit Robert, paru pour la première fois en 1967, i.e. seulement trois ans après la parution de la 1ère édition du Grand Robert (1964)? On y lit :

RÉVISION n.f. (1298; lat. revisio) […]

Vous aurez remarqué que la première forme « REVISION (vx. ACAD.) » qu’affichait le Grand Robert est disparue en tant que mot vedette. En fait, cette graphie ne se retrouve nulle part dans le dictionnaire. L’USAGE aurait donc changé… en trois ans! Et cet USAGE est resté le même depuis lors! Du moins, c’est ce que laisse entendre cet ouvrage.

Bref, que penser de l’USAGE qu’est censé décrire tout dictionnaire?…

Il me pose problème. J’ai de la difficulté à croire que les dictionnaires, malgré leur profession de foi à son égard, en sont le reflet. Et l’histoire du mot révision ajoute de l’eau à mon moulin. Il vient me conforter dans mon analyse. Hélas!

Maurice Rouleau

(1)  Voici ce que le Nouveau Petit Robert nous dit des variantes graphiques d’un mot :

  • « Si deux formes sont courantes, elles figurent à la nomenclature en entrée double : ASSENER ou ASSÉNER; dans cette présentation, le lexicographe favorise la première forme […]       [C’est donc le lexicographe qui oriente l’USAGE et non l’USAGE qui s’impose au lexicographe. C’est du moins la lecture que j’en fais.]
  • Si une forme est actuellement plus fréquente que la seconde qui a la même prononciation, cette dernière est accompagnée de var. : CALIFE var. KHALIFE.
  • Si la variante est rare, on la signale par « on écrit aussi, parfois » : EUCOLOGIE… On écrit parfois euchologue.
  • Enfin, lorsqu’une faute courante apparaît comme plus légitime que la « bonne » graphie, le lexicographe s’est permis de donner son avis par « on écrirait mieux » : CHARIOT on écrirait mieux charriot (d’après les autres mots de la même famille; PRUNELLIER, on écrirait mieux prunelier (à cause de la prononciation).  [C’est donc le lexicographe qui chercher à dicter l’USAGE.]

Mais qui est donc ce lexicographe? Celui qui a rédigé l’entrée en question? Celui qui a révisé les épreuves? Ou l’équipe éditoriale du dictionnaire?… On ne peut que spéculer.

(2)  « Dès l’automne [2019], il sera possible de consulter toutes les éditions du dictionnaire depuis la première qui date de… 1694. Ce sera une occasion unique de découvrir des mots disparus ou de lire les différentes définitions d’un même mot selon les époques. » (Voir ICI.)

Ce qui a été dit a été fait. Vous pouvez consulter les préfaces des 9 éditions du DAF à l’adresse suivante : http://academie-francaise.fr/le-dictionnaire/les-neuf-prefaces.

(3)  La primauté de l’USAGE était déjà reconnue par Vaugelas. Voici ce qu’il écrivait dans la préface de son ouvrage « Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire », paru en 1647 (la 1re éd. du DAF ne paraîtra qu’une cinquantaine d’années plus tard, plus précisément en 1694) :

Ce ne sont pas ici des lois que je fais pour notre langue de mon autorité privée ; je serais bien téméraire, pour ne pas dire insensé ; car à quel titre et de quel front prétendre un pouvoir qui n’appartient qu’à l’Usage, que chacun reconnaît pour le Maître et le Souverain des langues vivantes? Il faut pourtant que je m’en justifie d’abord, de peur que ceux qui condamnent les personnes sans les ouïr, ne m’en accusent, comme ils ont fait cette illustre et célèbre Compagnie, qui est aujourd’hui l’un des ornements de Paris et de l’Éloquence française. Mon dessein n’est pas de réformer notre langue, ni d’abolir des mots, ni d’en faire, mais seulement de montrer le bon usage de ceux qui sont faits, et s’il est douteux ou inconnu, de l’éclaircir, et de le faire connaître.

(4)   Les Académiciens ont toujours refusé de mettre un accent sur le verbe; ils écrivaient reviser même du temps qu’ils écrivaient révision et réviseur. Mais plus maintenant. Ils ont récemment décidé de corriger cette « irrégularité », cette « incohérence ». Il était temps que les bottines suivent les babines, que les Académiciens fassent ce qu’ils ont toujours prétendu faire : se soumettre à leur Souverain maître, l’USAGE. Le Grand Robert, qui dit en faire autant, a, lui, toujours écrit RÉVISER, et ce, depuis sa première édition, en 1964. Où est l’erreur? Je pose la question, mais elle est rhétorique. J’ai une idée très claire de la réponse, que je vous laisse deviner.

(5)   Est-ce vraiment un anglicisme que l’on condamne? Ne serait-ce pas plutôt quelque chose qui semble être un anglicisme parce que l’anglais a une façon comparable de dire la chose? (Voir ICI.) Certains lui préféreront « en fin de compte ». Soit. Mais pourquoi ne pas laisser l’usage imposer sa loi?

(6)  Il m’a été impossible de retracer le dictionnaire qui a servi à illustrer la page couverture du manuel Pratique de la révision.  Et qui présente ces deux graphies dans l’ordre inverse  « révision ou revision ».  À partir de quand revision a-t-il cédé sa place à révision? Autrement dit, depuis quand révision est-il devenu la forme la plus courante? 

(7)   Voici le sens attribué à chacune de ces marques par le Robert :

  •  Archaïsme :  « forme ou sens qui n’est plus d’usage normal, mais qui se rencontre encore dans la langue moderne, notamment dans un usage particulier (régional; littéraire);
  • Vieux : « mot, sens ou emploi de l’ancienne langue, incompréhensible ou peu compréhensible de nos jours et jamais employé, sauf par effet de style : archaïsme. — Distinct de vieilli :  « mot, sens ou expression encore compréhensible de nos jours, mais qui ne s’emploie plus naturellement dans la langue parlée courante ».

 

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9 commentaires pour  Révision ou Revision / Révoir ou Revoir

  1. Bouchka dit :

    Super article, il faut bien que nos académiciens nous prouvent qu’ils servent à quelque chose, un petit changement d’accent de temps à autre, accepter un mot qui passe dans l’usage, (humour)
    À votre prochain article. Cordialement.

  2. schtroumpf grognon dit :

    Dans le même ordre d’idées:
    Écrivez-vous «repartir» ou «répartir» (dans le sens de «répliquer»)?
    Liséré ou liseré?
    Féerie ou féérie?
    Gangrener ou gangréner?

    • rouleaum dit :

      La façon dont, moi, j’écris repartir (au sens de répliquer), liseré, féerie ou encore gangrener me semble hors de propos.

      Chacun les écrit comme on le lui a appris. Ou comme le maître qu’il a eu croyait qu’ils s’écrivaient. Ou encore comme le dictionnaire qu’utilisait ce maître le prescrivait.

      Si son dictionnaire était un Petit Robert, il vous aura dit que les deux graphies sont admises (ce qui n’est toutefois vrai que depuis 1993! Vous le saviez sans doute.) Mais si sa Bible était le Larousse en ligne, il vous aura sermonné si vous aviez osé leur mettre deux accents aigus. Sauf dans le cas de de liseré, qui lui peut aussi s’écrire liséré, parce que, nous dit-on, le DAF (8e éd.) l’autorise. En fait, ce dictionnaire ne reconnaît pas la graphie liseré. Qui décrit le mieux l’USAGE?

      Il aurait été plus approprié, je crois, de me demander si les mots repartir, liseré, féerie ou gangrener qui, selon le Robert, s’écrivent avec un ou deux é, ont connu une vie aussi mouvementée que revision → révision → revision → révision. Ou dit autrement, si l’Académie a, dans ces cas, changé son fusil d’épaule aussi fréquemment. Tout en prétendant, à chaque fois, se soumettre à son Souverain Maître, l’USAGE. Là est toute la question.

  3. FRANCOIS DEMAY dit :

    Pour nourrir le débat et donner des éléments supplémentaires d’information voici quelques liens vers des sites qui fournissent des données quant à l’orthographe ou à la fréquence d’usage.
    Si on prend les mots commençant par re- ou ré- et finissant par -ion (188 dans le Petit Robert 2019) et on choisit ceux que l’intuition semble désigner comme pouvant présenter le même phénomène d’oscillation orthographique on trouve en effet rapidement d’autres cas que celui relevé dans l’article de M. Rouleau.

    Par exemple réclusion (adj. reclus)
    http://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9clusion
    Prononc. et Orth.: [ʀeklyzjɔ ̃]. Ac. 1835, 1878: re- ou ré- (id. ds Littré); Ac. 1935: ré- (id. ds Lar. Lang. fr., Rob. 1985). Reclure, reclus, reclusage mais récluserie, réclusion. V. réviser.

    https://dvlf.uchicago.edu/mot/reclusion
    DAF 1835
    RECLUSION. s. f. (Quelques-uns écrivent et prononcent, Réclusion.)
    https://dvlf.uchicago.edu/mot/r%C3%A9clusion
    Voir aussi les graphes donnant la variation de l’usage dans le temps.

    Sur ces deux mêmes sites vous pouvez faire des recherches sur les entrées : réfection vs refection / réduplication vs reduplication, etc.
    http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?200;s=83573190;r=2;nat=;sol=189;
    Prononc. et Orth.: []. Ac. 1718, 1740: re-; dep. 1762: ré-. Début de l’objet 1 de la requête (Etymologie/Histoire)
    etc.

  4. DEMAY dit :

    Suite au précédent
    Si l’orthographe des mots a son importance (surtout quand elle concerne la grammaire), leur sens me paraît aussi sinon plus essentiel.
    En lisant une BD, je suis tombé sur l’expression « les voisins de palier). J’ai voulu savoir si DAF9 avait bien enregistré cet usage.
    Voici le sens correspondra qu’on trouvera à la dite entrée du DAF
    2. Plate-forme aménagée entre deux volées d’un escalier, en haut d’un perron, etc. Il y a un palier à chaque étage d’une maison, d’un immeuble. Habiter sur le même palier. Des voisins de palier.
    Il y a déjà une contradiction entre cette définition et l’exemple (« à chaque étage »…)
    Quid du dernier étage où il y a qu’une seule volée !?
    Voici un exemple de l’usage en situation de conflit avec intervention du juridique
    http://www.universimmo-pro.com/forum_universimmo/topic.asp?ARCHIVE=true&TOPIC_ID=17037
    Pour des raisons de sécurité (il est vrai qu’il y a beaucoup de cambriolages dans la région), il demande à fermer le palier du dernier étage en mettant une porte.

    Alors on ira, affecté du syndrome « saint Thomas », consulter ailleurs.
    Par exemple
    https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/palier/

    Sens 1
    Architecture
    Dans un escalier, plate-forme située à chaque étage.
    Synonymes : étage, plate-forme
    Traduction anglais : landing

    ET on pourrait multiplier les cas aussi bien dans le DAF que dans le PR ou le PL.

    CQFD

  5. LE CHEVALIER J. dit :

    INSCRIPTION

  6. Éric Léonard dit :

    Ce schéma du Ngram Viewer de Google montre l’influence que l’Académie aura eue sur l’usage entre 1878 et 1935 (à peu près) avant que celui-ci ne reprenne ses droits ;-D
    https://books.google.com/ngrams/interactive_chart?content=revision%2Cr%C3%A9vision&year_start=1600&year_end=2000&corpus=19&smoothing=3&share=&direct_url=t1%3B%2Crevision%3B%2Cc0%3B.t1%3B%2Cr%C3%A9vision%3B%2Cc0

    • rouleaum dit :

      démonstration assez convaincante.
      Quand on pense que c’est l’usage qui doit influencer le contenu d’un dictionnaire et non l’inverse!

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