Traducteur : une profession dépassée?  (3 de 4)

 

Le traducteur a-t-il encore sa raison d’être?

   La QUALITÉ présumée d’une traduction faite par ordinateur

 

      Dans les deux billets précédents, je me suis intéressé à l’impact qu’a occasionné, ou qu’occasionnera, l’arrivée des logiciels de traduction sur l’exercice de la profession de traducteur, tel que je l’ai connu. Dans le premier, je me suis demandé si la traduction automatique (TA) était aussi menaçante que mon ex-collègue le laissait entendre. Chose certaine, elle a fait d’énormes progrès, qui peuvent faire craindre le pire à certains, étant donné les résultats étonnants parfois observés. Dans le deuxième, je me suis attardé à la post-édition, cette nouvelle activité apparue dans le sillon de la TA. Après examen, il m’a semblé que l’activité du post-éditeur — puisqu’il faut l’appeler par son nom — n’a de nouveau que le nom qu’on veut bien lui donner. La post-édition n’est en fait rien d’autre que ce que, jusqu’à tout récemment, on appelait révision.

J’en suis rendu à me demander si l’intelligence artificielle a rendu l’ordinateur assez « intelligent » pour chasser le traducteur de la niche de l’activité humaine qui lui était jusqu’à tout récemment réservée. Autrement dit, assez « intelligent » pour produire des traductions qui pourraient faire rougir d’envie tout traducteur. Ou pire, lui faire comprendre qu’il n’a plus sa place en traduction. Pour sûr, le logiciel travaille plus rapidement que l’homme. Mais ses traductions sont-elles de qualité? Certains en sont convaincus, sinon le traducteur ne serait pas appelé à « traduire » des textes pré-traduits, ou à les post-éditer. Moi, je n’en suis pas vraiment convaincu. Le ouï-dire n’étant pas ma Bible, j’ai décidé de m’en assurer par moi-même.

La qualité d’une traduction faite par ordinateur est-elle au rendez-vous?

Autrement dit, pour être dite bonne, une telle traduction doit-elle répondre aux mêmes critères qu’une traduction faite par l’homme, à savoir :

  • être fidèle au texte de départ;
  • être rédigée dans un français impeccable;
  • être formulée de façon idiomatique;
  • être dans le même ton que le texte de départ;
  • être pleinement intelligible par le lecteur auquel elle est destinée?

La question ne devrait pas se poser. Pourtant, j’ose le faire. Voici pourquoi.

Il est généralement admis que l’anglophone et le francophone ne s’expriment pas de la même façon; qu’ils utilisent des tournures différentes pour dire une même réalité. Pas de façon systématique, j’en conviens. Mais assez souvent pour que l’on puisse pointer du doigt ces traductions qui sentent ce qu’elles sont. En voici deux exemples :

–  Un unilingue francophone ne dira jamais, après avoir été remercié d’un geste posé, Vous êtes le bienvenu même si, dans les mêmes circonstances, l’anglophone utilisera la formule You’re welcome. Il dira plutôt : De rien. Je vous en prie. Ou encore Il n’y a pas de quoi.

–  Il ne dira pas non plus On traversera le pont quand on y sera rendu même si, dans les mêmes circonstances, l’anglophone ira d’un We’ll cross the bridge when we get to it. Il optera pour Chaque chose en son temps. Ou encore Nous verrons en temps et lieu.

     Seule une personne contaminée par l’anglais se ferait ainsi piéger. Ce qui arrive parfois même à un traducteur, à celui qui n’arrive pas à se détacher du texte anglais. Mais qu’en est-il de l’ordinateur qui se prétend traducteur? Pourrait-il, lui aussi, être contaminé par l’anglais?… Voilà une question fort pertinente.

Vérifions donc la qualité des traductions automatiques.

Pour savoir si l’ordinateur peut « s’exprimer » comme le ferait un unilingue francophone, je lui donne à traduire des phrases typiquement anglaises, i.e. qui font appel à des tournures généralement employées par un anglophone. Des tournures caractérisées telles par la stylistique comparée . Cette dernière nous apprend que, contrairement au français, l’anglais a un goût plutôt prononcé pour le concret, le particulier, la juxtaposition, la coordination, etc. Autrement dit, l’anglais a des préférences; le français en a d’autres, qui lui sont propres.

Pour ce qui est du logiciel de traduction, j’ai opté pour DeepL parce que c’est celui qui apparemment aurait la cote auprès des cabinets de traduction et aussi parce que c’est celui qui s’est démarqué parmi les cinq que j’ai testés. Sans pour autant être toujours le meilleur. Je tiens à le préciser.  Il lui arrive de faire des bourdes monumentales. Vous le constaterez bientôt.

Comparons donc quelques phrases typiquement anglaises avec leur traduction faite par DeepL.

Mais auparavant, j’aimerais rappeler ce que Vinay & Darbelnet, dans leur Stylistique comparée du français et de l’anglais (Beauchemin, Montréal, 1977), ont montré : l’anglais et le français ne voient pas le monde du même œil. Ou, comme je me plaisais à le dire : ils n’utilisent pas la même paire de lunettes pour le regarder. L’anglais privilégie le plan du concret [il fait appel à des mots images (1); et les phrases où se trouvent ces mots sont à l’avenant, i.e. imagées], tandis que le français, lui, privilégie le plan de l’entendement [il fait appel à des mots signes (1); et ses phrases sont aussi à l’avenant.] Compte tenu de cette particularité, comment le logiciel DeepL s’en tire-t-il? Ses productions sentent-elles ou non la traduction à plein nez? C’est ce que nous allons immédiatement vérifier.

  • Qui, en lisant Il a allaité la bande trois fois de suite, croirait que le texte anglais disait : He breasted the tape three times in a row. C’est pourtant la traduction, aberrante est-il besoin de le préciser, qu’en fait DeepL.

Dans To breast the tape, il y a une image que DeepL ne voit tout simplement pas : celle d’un coureur qui, bombant le torse, franchit la ligne d’arrivée (Voir ICI). Car il lui est interdit de toucher au ruban, qui marque cette ligne, avec sa main.  Je ne vous apprends rien là, j’en suis sûr. Le seul à devoir faire ce geste, c’est celui qui termine la course en premier. Après son passage, il n’y a plus de ruban. Point n’est besoin pour bien rendre ce message, en français, d’entrer dans les détails; de parler du ruban. Ce serait accorder trop d’importance à l’image dont le français se passe si facilement. Une bonne traduction pourrait être : Il a gagné la course trois fois de suite. L’image (le concret) a disparu; l’idée (l’entendement) a pris sa place.

On ne peut même pas prétexter le manque de contexte pour justifier l’aberration produite par DeepL, Si je remplace le sujet He par the sprinter ou encore par Usain Bolt, le résultat reste le même. Le logiciel est tout simplement incapable de faire la différence entre breasted et breastfed. Ce qui n’est pas à son honneur, vous en conviendrez. Soit dit en passant, Google Translate a fait un peu mieux, mais le résultat n’est pas parfait. Sa traduction est : Il a passé la bande trois fois de suite.

 Voir DeepL traduire Do you  know what’s around the corner?  par Tu sais ce qu’il y a au coin de la rue? ne peut que faire froncer les sourcils à un lecteur francophone. Ce logiciel est incapable de voir l’image qui se cache derrière ces mots. Une bonne traduction serait : Sais-tu seulement ce qui t’attend?

–  Après avoir soumis à DeepL la phrase suivante : An emotion without social rules of containment and expression is like an egg without a shell: a gooey mess, j’ai obtenu comme traduction : Une émotion sans règles sociales de confinement et d’expression est comme un œuf sans coquille : un gâchis gluant!  La phrase est certes grammaticalement correcte, mais elle ressemble, elle aussi, en tous points, à un « œuf sans coquille »! Une traduction plus appropriée pourrait être :  L’expression d’une émotion qui transgresse les règles de bienséance peut avoir de très graves conséquences.

N’allez pas croire que je me suis donné un mal fou pour trouver ces exemples. Que non! Il y en a beaucoup plus que vous ne le croyez (2). Il suffit d’être attentif et surtout d’avoir quelques notions de base en stylistique comparée.

Un texte français est généralement articulé.

J’ai appris, et enseigné, que tout francophone tient généralement un discours articulé. Que, pour ce faire, il recourt à des anaphoriques (i.e. élément linguistique qui rappelle un mot ou groupe de mots déjà énoncés) et à des indicateurs de rapport, ou mots de liaison (3). Ces deux types d’éléments assurent de la cohérence à son propos et facilitent à son interlocuteur la compréhension du message qu’il veut communiquer.

N’allez pas vous imaginer que la cohérence ne se rencontre qu’en français. Pour que la communication soit efficace, il faut que le récepteur saisisse bien le rapport que l’émetteur a à l’esprit quand il s’exprime, à l’écrit comme à l’oral. Et cela, quelle que soit la langue. Pour assurer cette cohérence, l’anglais – believe it or not – fait appel aux mêmes éléments que le français : anaphoriques et indicateurs de rapport. Du moins en théorie. En pratique, c’est une autre histoire.

Dans les textes anglais courants, ces éléments d’articulations brillent souvent par leur absence. Les phrases sont, la majeure partie du temps, juxtaposées; ce qui n’est pas sans créer des difficultés quand vient le temps de les traduire. Le traducteur doit pouvoir débusquer les rapports sous-jacents et les expliciter. À défaut de quoi, sa traduction n’aura de français que les mots.

Voyons quelques exemples. J’en ai séparé les phrases pour mieux faire voir l’absence d’articulations. On aura beau dire que le texte anglais est de piètre qualité, il n’en demeure pas moins que c’est le genre de textes auxquels le traducteur est très souvent confronté. À  tel point que, face à un texte anglais articulé, un traducteur a peine à croire qu’il a été écrit par un anglophone. Il croira plutôt qu’il est l’œuvre d’un francophone, tellement sa traduction est aisée. Car, point n’est besoin de débusquer les articulations des phrases entre elles; elles sont déjà là! (4)

Premier exemple 

  • Early in life Fahrenheit emigrated to Amsterdam for a business education.
  • By profession he was a manufacturer of meteorological instruments.
  • Obviously one of the chief devices that can be used for studying climate is a thermometer.
  • The thermometers of the seventeenth century, however, such as the gas thermometer of Galileo or of Amontons, were insufficiently exact for the purpose.

Traduction par DeepL :

Au début de sa vie, Fahrenheit a émigré à Amsterdam pour suivre une formation commerciale. Il était fabricant d’instruments météorologiques de par sa profession. De toute évidence, l’un des principaux appareils pouvant être utilisés pour l’étude du climat est un thermomètre. Mais les thermomètres du XVIIe siècle, comme le thermomètre à gaz de Galilée ou d’Amontons, n’étaient pas assez précis pour cela.

 Satisfait?… Moi, pas.

Quiconque lit cette traduction ne peut qu’être déconcerté. La juxtaposition des phrases rend ce paragraphe incompréhensible. Pour que sa traduction ne sente pas ce qu’elle est, un bon traducteur doit pouvoir rétablir les rapports, non exprimés, entre chacune de ces phrases. Ce que DeepL n’a, de toute évidence, pas su faire. Il s’est contenté de traduire ces phrases les unes à la suite des autres, comme des unités isolées.

Une traduction plus française, mieux articulée, pourrait être :

Jeune adulte, Fahrenheit se rend à Amsterdam pour y poursuivre des études en commerce. Mais il deviendra fabricant d’instruments météorologiques. Notamment d’un thermomètre — instrument couramment utilisé dans ce domaine –, car ceux qui sont en usage au XVIIe siècle, p. ex. celui de Galilée ou d’Amontons, n’ont pas la précision voulue.

Pour produire une telle traduction, la connaissance de l’équivalent français de chacun des mots anglais ne suffit clairement pas. Il faut avoir une certaine culture ou avoir pris l’habitude de se documenter quand le sujet ne nous est pas familier. Dans ce cas-ci, en apprendre un peu plus sur la vie de Gabriel Fahrenheit.

Deuxième exemple

  • Anthropological excavations show humans ate meat for several million years, but grains are a recent addition to the diet, starting with wild rice in 7,000 BC in China and India.
  • Meat eating Europeans began to cultivate grains 4,000 years later.
  • North American native plains Indians, healthy and fit, lived on wild game but sickened when fed unfamiliar grains supplied by the government on reservations only after the buffalo herds were destroyed.
  • Grains today are not what our ancestors ate anyway, for most grains are genetically engineered and hybridized to increase yield, but have become more indigestible and allergic as a side effect.

Traduction par DeepL :

Des fouilles anthropologiques montrent que les humains ont mangé de la viande pendant plusieurs millions d’années, mais les céréales sont un ajout récent à l’alimentation, à commencer par le riz sauvage en Chine et en Inde en 7 000 avant J.-C. Les Européens mangeurs de viande ont commencé à cultiver des céréales 4 000 ans plus tard. Les Indiens des plaines d’Amérique du Nord, en bonne santé et en forme, vivaient de gibier sauvage, mais ils étaient malades lorsqu’ils étaient nourris de grains inconnus fournis par le gouvernement dans les réserves seulement après la destruction des troupeaux de bisons.

Les céréales d’aujourd’hui ne sont pas ce que nos ancêtres mangeaient de toute façon, car la plupart des céréales sont génétiquement modifiées et hybridées pour augmenter le rendement, mais sont devenues plus indigestes et allergiques comme effet secondaire.

Satisfait?… Moi, pas.

Une traduction plus française, mieux articulée, pourrait être :

L’homme, nous disent les anthropologues, mange de la viande depuis des millions d’année. La consommation de céréales, elle, n’aurait commencé qu’environ 7000 ans av. J.-C. Plus précisément en Chine et en Inde, avec le riz. En Europe, ce n’est que 4000 ans plus tard qu’est apparue la culture des céréales, alors qu’en Amérique du Nord, les Amérindiens des Grandes Plaines, qui se nourrissaient traditionnellement de gibier, ont commencé à en manger, sans très bien les digérer, quand, une fois les troupeaux de bisons décimés, le gouvernement leur en a fourni, sur les réserves.

            Les céréales actuelles ne se comparent pas à celles d’antan. La plupart ont été depuis génétiquement modifiées ou ont fait l’objet de croisements dans le but d’en accroître le rendement, ce qui, du coup, les a rendues moins digestes et plus allergènes.

Troisième exemple 

  • The art of using mixtures of chemicals to produce explosives is an ancient one.
  • Black powder―a mixture of potassium nitrate, charcoal, and sulfur―was being used in China well before 1000 A.D., and has been subsequently used through the centuries in military explosives, in construction blasting, and for fireworks.
  • The du Pont Company, now a major chemical manufacturer, started out as a manufacturer of black powder.
  • In fact,the founder, Eleurian du Pont, learned the manufacturing technique from none other than Lavoisier.

Traduction par DeepL :

L’art d’utiliser des mélanges de produits chimiques pour produire des explosifs est très ancien. La poudre noire – un mélange de nitrate de potassium, de charbon de bois et de soufre – était utilisée en Chine bien avant 1000 après J.-C., et a été utilisée par la suite au cours des siècles dans les explosifs militaires, dans le dynamitage des constructions et pour les feux d’artifice. La société du Pont, maintenant un fabricant majeur de produits chimiques, a commencé comme fabricant de poudre noire. En fait, le fondateur, Eleurian* du Pont, a appris la technique de fabrication auprès de nul autre que Lavoisier.

* Je me serais attendu à ce que ce logiciel, grâce aux nombreux recoupements dont « son » intelligence artificielle est capable, sache que partout où il est question du fondateur de la firme DuPont, le seul prénom que l’on rencontre est Éleuthère Irénée du Pont de Nemours et non Eleurian. Mais il a failli à la tâche.

Satisfait?… Moi, pas.

Une traduction plus française, mieux articulée, serait :

L’art de fabriquer des explosifs en mélangeant des produits chimiques ne date pas d’hier. Bien avant l’an mille, les Chinois utilisaient déjà la poudre noire, un mélange de salpêtre*, de charbon de bois et de soufre. Plus tard, elle a servi à des fins militaires (bombardement), industrielles (dynamitage) et même récréatives (feux d’artifice). Cette poudre noire fut à l’origine de la firme DuPont, aujourd’hui une importante compagnie de produits chimiques. Son fondateur, Éleuthère du Pont de Nemours, en a appris la fabrication de nul autre que de Lavoisier lui-même.

  Salpêtre est le nom sous lequel on désignait autrefois le nitrate de potassium.

Quatrième exemple 

  • Wine is an alcoholic beverage made by the fermentation of the juice of the grape.
  • Wines are distinguished by color, taste, bouquet or aroma, and alcoholic content.
  • They are classified as natural or fortified, sweet or dry, still or sparkling.
  • The differences depend upon the kind of grape from which the wine was made, the climate, the location of the vineyard, treatment of the grapes while growing and when being harvested, the method by which it was produced, and after-handling.

Traduction par DeepL :

Le vin est une boisson alcoolisée obtenue par la fermentation du jus du raisin. Les vins se distinguent par leur couleur, leur goût, leur bouquet ou leur arôme, et leur teneur en alcool. Ils sont classés comme naturels ou fortifiés, doux ou secs, tranquilles ou pétillants. Les différences dépendent du type de raisin à partir duquel le vin a été fait, du climat, de l’emplacement du vignoble, du traitement des raisins pendant la croissance et la récolte, de la méthode de production et de la manutention ultérieure.

Satisfait?… Moi, pas.

Une traduction plus française, mieux articulée, pourrait être :

Tout vin est produit par fermentation d’un jus de raisin. Chacun d’eux possède une couleur, un goût, un bouquet, ou arôme, et une teneur en alcool qui lui sont propres. On les dit naturels ou vinés, doux ou secs, tranquilles ou pétillants. Tout dépend du cépage utilisé, du climat de la région vinicole, de l’emplacement du vignoble, des méthodes de culture et de vendange, ainsi que des conditions d’élevage.

 Cinquième exemple 

  • This is about the meaning of words.
  • It is language through which we transfer knowledge and experience.
  • For this reason semantics, the connection between words and their meanings is crucial.
  • The semantic device is the coin of the exchange, and this coin has two faces.

Traduction par DeepL :

Il s’agit de la signification des mots. C’est le langage par lequel nous transférons les connaissances et l’expérience. C’est pourquoi la sémantique, le lien entre les mots et leur signification est cruciale. Le dispositif sémantique est la pièce de monnaie de l’échange, et cette pièce a deux faces.

Satisfait?… Moi, définitivement pas.

Une traduction plus française, mieux articulée, pourrait être :

Parlons donc du sens des mots. Vu que ce sont eux qui nous permettent de dire tout ce que l’on veut, la relation entre les mots et leurs sens (ou sémantique) joue un rôle primordial en communication. Mais ces mots peuvent être utilisés aussi bien à bon qu’à mauvais escient*.

* Idée véhiculée par les deux éléments du titre de l’article : Semantics and baloney. 

     Vous conviendrez que ces 5 traductions générées par DeepL ne sont pas époustouflantes. Elles font certes appel à des mots français, mais elles sentent l’anglais à plein nez. Sauf pour qui n’a aucune notion de stylistique comparée.

La qualité est-elle au rendez-vous?

     Dans ces 5 exemples, j’ai fait appel à deux caractéristiques de l’anglais : sa prédilection pour le concret et celle pour la juxtaposition. J’aurais pu tout aussi bien faire appel à d’autres caractéristiques. Je pense, par exemple, à son goût très marqué — qui n’a pas d’égal en français —  pour la conjonction de coordination AND; à son goût également marqué pour le particulier même quand il s’aventure à exprimer la généralité.

Si je ne l’ai pas fait, c’est que cela n’aurait rien ajouté à ma démonstration. Je serais arrivé au même résultat. Au même constat : ce logiciel — et il n’est certainement pas le seul — est esclave des mots et non des idées. Non seulement des mots, mais tous les mots. Sans exception. Revoyez les exemples cités en (2).

J’ajouterais même : esclave de la séquence des mots dans la phrase et esclave de la séquence des phrases dans le paragraphe. Il ne déroge pas à l’ordre établi. Même si cet ordre est anglais.

Rien en somme qui me fasse dire que ces traductions, faites par la machine, sont de bonnes traductions. La qualité n’est vraiment pas au rendez-vous.

Pour que ces traductions faites par DeepL ne sentent plus l’anglais à plein nez, il faut impérativement intervenir. Autrement dit, les faire réviser ou, pour être plus in, les faire post-éditer.  Ce qui demandera plus de temps. Donc plus d’argent.

Est-ce qu’on y gagne au change?… Je me le demande.

À SUIVRE

 Maurice Rouleau

(1)  L’anglais a, comme nous l’ont appris Vinay & Darbelnet, une prédilection pour les mots images; le français, lui, préfère les mots signes. Il suffit de penser à bagpipe (cornemuse), green house (serre), hit-and-run (délit de fuite), mixed vegetables (macédoine), ring finger (annulaire), tuning fork (diapason), knee cap (rotule). Vous entendez le mot anglais, vous voyez la chose. Vous entendez le mot français, vous ne voyez rien. Pour en savoir plus, voir https://rouleaum.wordpress.com/2014/02/24/stylist-comparee-11-mots-images-mots-signes/

(2) Voici d’autres phrases dont la traduction par DeepL laisse à désirer. J’ai mis en rouge le segment incriminé; en bleu, la traduction faite par ce logiciel; en vert, l’idée que l’auteur voulait transmettre. 

  • Like other nomadic peoples who wandered through the spotlight of history, the Nabataeans left little behind to explain themselves.

devient après traduction par DeepL :

Comme d’autres peuples nomades qui ont erré sous les feux de l’histoire, les Nabatéens ont laissé peu de choses derrière eux pour s’expliquer.

Ce que l’auteur voulait dire ressemble plutôt à ceci :

Comme bien d’autres peuples nomades qui ont connu leur heure de gloire, les Nabatéens ont laissé peu de traces de leur passage.

  • A living antiquity presents problems to those who would preserve the past, uncovered its secrets or packaged it for mass consumption.

devient :

Une antiquité vivante pose des problèmes à ceux qui voudraient préserver le passé, en découvrir les secrets ou le conditionner pour la consommation de masse.

L’auteur voulait dire : aménager pour en faire un attrait touristique.

  • But because progressive education carries heavy burden of sins I do not think we can use its back as a convenient place on which to pile all our present troubles.

devient :

Mais parce que l’éducation progressive porte un lourd fardeau de péchés, je ne pense pas que nous puissions utiliser son dos comme un endroit commode sur lequel empiler tous nos problèmes actuels.

L’auteur voulait dire :   avoir un lourd passif  et  servir de bouc émissaire.

  • With one of his helpers, he walks along the edge of the forest and unrolls a band of red plastic warning tape.

devient :

Avec l’un de ses assistants, il marche à la lisière de la forêt et déroule une bande de ruban adhésif rouge d’avertissement.

L’auteur voulait dire : établir un périmètre de sécurité. 

  • Quebec City region knocks us out every time.

devient :

La région de Québec nous assomme à chaque fois.

L’auteur voulait dire :  nous surprendre.

  • A dark day, promising to grow darker. Let’s face it; just the sort of day when you might be forgiven for hitting the alarm and rolling over–were you a student, that is.

devient :

Un jour sombre, promettant de s’assombrir. Voyons les choses en face ; le genre de jour où l’on pourrait vous pardonner d’avoir sonné l’alarme et de vous être retourné – si vous étiez étudiant, par exemple.

L’auteur voulait dire : arrêter le réveil  et  faire la grasse matinée.

 (3)    La présence d’indicateurs de rapport (ou mots de liaison) n’est pas toujours essentielle à la compréhension. Quiconque se fait dire : J’ai été malade la nuit dernière. J’ai trop fêté hier soir.  comprendra aisément qu’il y a un rapport de cause à effet, non dit, entre ces deux énoncés. Cette façon de s’exprimer (par juxtaposition) n’est pas fautive en soi, mais elle doit être utilisée avec modération, sinon le texte devient vite indigeste. Pour une démonstration convaincante, voir le court texte intitulé Pierre et Lise vont au zoo.

Soit dit en passant, quand il y a absence d’indicateur de rapport (i.e. juxtaposition), le linguiste parle de parataxe. Quand les éléments de la phrase sont reliés par coordination ou par subordination, il utilise alors le terme hypotaxe. 

(4)  Qui croirait que les phrases suivantes ont vraiment été écrites par un anglophone?

  1. Greatly surprised by the news, Audrey immediately telephoned her parents.
  2. Eager to leave the city, Karl threw his clothes into a suitcase.
  3. Tired of studying, the student took a rest.
  4. Peopled by Indian and Eskimo nomads some thousands of years ago, and subsequently explored by other adventurers, Canada defied « official » discovery until a Venetian, John Cabot, sailing under a British flag in 1497, found a vast continent in the western world.

Pour en savoir plus, voir https://rouleaum.wordpress.com/2014/11/05/blogue-17-la-juxtaposition/

P-S. — Si vous désirez être informé(e) par courriel de la publication de mon prochain billet, vous abonner est peut-être la solution idéale. 

Cet article a été publié dans Contraintes de la langue, Particularités langagières, Stylistique comparée. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour Traducteur : une profession dépassée?  (3 de 4)

  1. Anne dit :

    Inscription

Laisser un commentaire